Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/368

Cette page a été validée par deux contributeurs.
364
REVUE DES DEUX MONDES.

même nous devrions dormir, nous, peuples d’Occident, du sommeil des vieux peuples, enfoncés dans cette léthargie éveillée, dans cette mort vivante, dans cette activité stérile, dans cette fécondité d’avortemens éternels que les Byzantins ont si long temps subies. J’ai peur que nous n’arrivions là. En Europe, et surtout au Midi, les peuples sont ivres et les rois ferment boutique. Il y a des littératures qui radotent, et d’autres qui ont le délire. L’homme de la matière et du travail corporel, maçon ou ingénieur, architecte ou chimiste, peut nier ce que j’avance, s’il n’est pas philosophe ; mais nos preuves sont flagrantes. On découvrirait douze mille acides nouveaux ; on dirigerait les aérostats par la machine électrique ; on imaginerait le moyen de tuer soixante mille hommes en une seconde, que le monde moral européen n’en serait pas moins ce qu’il est, mort ou mourant. Du haut de son observatoire solitaire, planant sur l’espace obscur et sur les vagues houleuses du futur et du passé, le philosophe, chargé de sonner les heures dans les journées de l’histoire, et d’annoncer les changemens qui se font dans la vie des peuples, n’en serait pas moins forcé de répéter son cri lugubre : L’Europe s’en va !


Philarète Chasles.