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— ajouta-t-il en se signant. Le brigand obéit, et au lieu de me frapper, coupa avec son poignard les cordes qui m’attachaient à mes compagnons, dont je sentais le sang tiède encore couler sur mes jambes et mes mains. Massaroni m’essuya avec un linge, et me donna une bague, ainsi qu’un sauf-conduit qu’il écrivit sur son, genou[1]. Tu peux partir, me dit-il ensuite, tu es libre ; rends grace de ta délivrance au grand saint Antoine.

Quand l’enfant rentra chez son père, la nouvelle de l’assassinat des pensionnaires qui n’avaient pas été relâchés s’était déjà répandue dans Rome, et on le croyait mort.

Cette comédie de la conversion des brigands se termina, comme on voit, d’une façon tragique. Le stupide recteur du séminaire de Terracine ne perdit cependant pas sa place ; on attribua sa mésaventure à un zèle trop ardent, et, à Rome, le zèle fait pardonner tout, même la sottise.

L’aimable et habile cardinal Gonsalvi fut le dernier des ministres romains qui traita avec les brigands. De 1818 à 1825, plusieurs d’entre eux, amnistiés à la suite de ces traités, et entre autres le fameux Dieci-Nove, furent même nommés barighelli dans les bourgades infestées d’ordinaire par les bandits, et, à ce titre, chargés de la police de la montagne. Dieci-Nove était barighel à Frosinone. Ces étranges magistrats s’acquittèrent sévèrement et fidèlement de leur nouvelle charge.

À la suite de l’une de ces transactions du cardinal Gonsalvi avec les brigands, neuf d’entre eux se rendirent avec leurs femmes et leurs enfans. On les conduisit à Rome, on les logea dans les fossés du château Saint-Ange, et, pendant un an qu’ils y furent détenus, il fut de mode à Rome d’aller les visiter. Les étrangers surtout raffolaient des brigands, les dessinaient, et leur faisaient toutes sortes de caresses et de présens. Barbone, le chef de cette bande, dont nous raconterons tout à l’heure un des exploits, avait cependant tué de sa main plusieurs voyageurs, et plus d’une fois des Anglais, arrêtés dans la montagne, avaient vu outrager sous leurs yeux par ce misérable leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Qu’eût dit le gouvernement si l’un de ces étrangers, ne pouvant obtenir justice d’une autre manière, eût tué le brigand d’un coup de pistolet ? Mais ces gens-là

  1. Voici la copie de ce sauf-conduit :

    « Si ordina a qualunque comitiva di non toccare Casata Fasani. Virtù e fedeltà. »

    Antonio Mattei ed Alessandro massaroni. »