Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/356

Cette page a été validée par deux contributeurs.
352
REVUE DES DEUX MONDES.

où la bassesse seule est protégée ; à toi dont l’amitié n’a pas faibli dans les heures les plus désolées de ma jeunesse amère ;

« À toi je dédie ces vers. Non jamais, lorsque l’indigence était sœur de la poésie, barde isolé, battu de l’orage, n’offrit à son hôte l’hommage d’un cœur plus profondément attendri !

« Car il est aisé, ô riches, de jeter votre aumône au génie. Mais toi, tu m’as donné, en dépit de la froideur et de l’incrédulité, ce que les femmes donnent rarement aux femmes, estime et foi. Calomniée et seule, en butte à ceux qui torturaient mon cœur sans pouvoir l’écraser ;

« C’est toi, quand des lâches flétrissaient mon nom, et riaient de me voir, faible, lutter contre le torrent ; quand ceux sur lesquels je devais compter m’abandonnaient ; lorsque peu de regards compatissans et inespérés s’abaissaient vers moi ; quand ceux qui auraient pu me défendre attendaient que le monde se fût prononcé ;

« C’est toi qui m’as donné ce que le pauvre donne au pauvre, des paroles de bonté, des vœux sacrés, des larmes vraies ! — Ont-ils fait davantage, les êtres depuis long-temps aimés, les parens, ceux qui n’ont pas changé lorsque le sort changeait, ceux-là qui m’ont serrée d’une étreinte plus vive au moment du péril, émoussant par le dédain la pointe de l’outrage ? Non, ceux-là n’ont pas fait mieux que toi !

« On croit au mal quand on sent le mal dans son cœur ; ce n’est pas la raison, c’est la conscience qui persuade aux criminels le crime d’autrui. Ils ajoutent foi à la perfidie, ceux qui se sont montrés perfides.

« Mais toi, blanc cygne, porté sur des ondes impures ; toi dont l’aile emperlée rejette les gouttes noires qui tacheraient ton plumage ; toi, reine de grace et de beauté, qui glisses innocente et fière sur les vagues sombres ;

« Tu as cru à mes paroles lorsque j’ai répondu tristement : Cela n’est pas ! Ta candeur n’a pas rougi, ta confiance ne s’est pas ébranlée, tu n’as pas reculé ; les aboiemens de la meute qui poursuit toujours le malheur ne t’ont pas effrayée. Tu m’as jugée d’après ton cœur ; ta noble pitié, tu l’as puisée dans le souvenir de ta vie.

« Mes vers, tribut modeste, n’ajouteront rien à ta lumineuse auréole ; mais tout poète espère dans l’avenir. Je serais heureuse de faire vivre au moins une des nobles pensées de ton ame.

« Quelque soir, un inconnu feuillettera ces pages écrites dans une heure douloureuse, et peut-être une lointaine image de toi planera sur le front attendri de celui qui me lira. T’admirer, voir ta douce et