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Vénus et des Pallas, comme tous les princes sont des Achille, des Alexandre, des Mars et des Alcide ? Ce n’est pas sans peine que le lecteur, à travers ce torrent de métaphores ampoulées, réussit à dégager le fait parfois assez insignifiant qui y sert de prétexte.

Sous un autre rapport, les comédies dont nous parlons jettent sur l’histoire de l’Espagne au XVIIe siècle une lumière moins directe, mais bien autrement vive. On y retrouve dans tous ses détails la physionomie de la société du temps. Lope de Vega surtout, moins idéal que Calderon, plus près de la nature, moins constamment aristocrate dans le choix de ses sujets, tout aussi habile que lui à peindre les classes élevées, mais ne dédaignant pas comme lui de peindre aussi les classes secondaires, Lope de Vega, dans ses innombrables drames, nous offre le tableau le plus complet et le plus varié de ce qu’était alors l’Espagne. Il nous donne le spectacle curieux de cette civilisation tout à la fois raffinée et rude encore, de ce mélange étonnant d’esprit, de génie même et de préjugés aveugles autant qu’absurdes, de ces mœurs galantes, chevaleresques, délicates et cruelles tout à la fois. Il nous introduit dans ces cercles dont les subtils entretiens et les exercices littéraires, plus ingénieux que solides, rappellent notre hôtel de Rambouillet. Il nous fait assister, dans les promenades mystérieuses du Prado, ou la nuit sous les balcons, dans les ruelles étroites, à ces rendez-vous amoureux, à ces rencontres, à ces duels sanglans dont la tradition romanesque est un des souvenirs distinctifs de l’Espagne. Les habitudes moins élégantes et moins relevées n’échappent pas davantage à son habile observation. Il saisit au passage tous les incidens, toutes les anecdotes plus ou moins piquantes que lui fournit la chronique contemporaine, et par là il imprime à ses drames ce caractère de réalité qui donne aux ouvrages de l’imagination une couleur si particulière, qui y fait, pour ainsi dire, circuler la vie. Ce que nous venons de dire de Lope de Vega peut s’appliquer, à des degrés différens et avec certaines nuances, à tous les poètes dramatiques de ce siècle. Tous, on le sent en les lisant, nous montrent réellement ce qu’ils avaient sous les yeux. Matériellement comme moralement, ils peignent d’après nature. Les jardins, les rues, les édifices publics, les palais particuliers qu’ils mentionnent à chaque instant, et où ils placent la scène de leurs drames, existaient bien, en effet, tels qu’ils nous les décrivent. Les noms même de leurs personnages fictifs sont ceux des familles illustres qui composaient et qui composent encore la haute noblesse espagnole, les Toledo, les Mendoza, les Silva, les Velasco, les Cardona et tant d’autres encore. Avec ces comédies, on reconstruirait en quelque sorte pièce à pièce l’Espagne de Philippe III et de Philippe IV, et le nouveau Walter Scott qui voudrait la ressusciter dans une œuvre d’imagination et d’érudition tout à la fois y trouverait des matériaux d’autant plus précieux, qu’ils suppléeraient à l’absence presque absolue de travaux historiques et même de mémoires sur cette époque, si importante pourtant dans les annales de l’Espagne.

Nous en avons dit assez pour faire voir quelle richesse, quelle variété infinie présente le drame historique chez les Espagnols. Il n’existe dans aucune litté-