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à se répandre dans Rome que tous trois avaient été impitoyablement égorgés. Cette nouvelle n’était exacte qu’en partie. Les deux fils des juges avaient seuls été mis à mort ; le jeune Fasani avait échappé, comme par miracle, au même sort. Voici ce qu’il raconta lorsqu’il fut de retour dans sa famille.

Les brigands, à peine sortis du séminaire, se dirigèrent en toute hâte vers la montagne en suivant le chemin de la Torre delle Mole ; laissant ce hameau sur leur gauche, ils ne tardèrent pas à gravir des pentes très escarpées et à se trouver au centre des montagnes de Sonnino. Ils avaient attaché leurs prisonniers deux à deux et les faisaient marcher de force en les menaçant du bâton et même du poignard ; cependant le chemin devenant de plus en plus difficile, et les forces des malheureux enfans paraissant épuisées, les bandits les chargèrent sur leurs épaules et ne firent leur première halte que lorsqu’ils furent arrivés sur la cime d’une montagne élevée que des bois entouraient de tous côtés. Là, ils rencontrèrent un pâtre qui gardait un troupeau de moutons ; ils tuèrent les deux plus gras, les dépecèrent et les firent cuire à un grand feu qu’ils avaient allumé au moment de la halte. Au commencement et à la fin de leur repas, que les élèves du séminaire partagèrent, ils récitèrent leurs prières, absolument comme ils avaient coutume de le faire dans le couvent. La conversion, comme on voit, leur avait été profitable. Ils y joignirent des actions de graces pour saint Antoine, leur patron. Ayant ensuite placé des sentinelles et certains de ne pas être inquiétés, l’un d’eux prit un livre et fit la lecture à haute voix à ses compagnons couchés sur le gazon autour de lui ; ce livre racontait l’histoire poétique des fameux Ricardo et Pietro Mancino[1]. Au récit de chacun des tours merveilleux de leurs héros, les bandits poussaient des cris d’admiration, et l’on voyait clairement qu’ils se proposaient de suivre leur exemple. La journée s’écoula de cette manière. — La nuit étant venue, les brigands, dit le jeune Fasani, nous enveloppèrent dans leurs manteaux et nous rangèrent autour d’un grand feu ; puis, après avoir baisé chacun l’image de la Vierge qu’ils portaient au cou, ils se couchèrent autour de nous et ne tardèrent pas à s’endormir ; les sentinelles seules veillaient sur les rochers du voisinage. Le lendemain, nous cheminâmes encore tout le jour au milieu de montagnes inaccessibles. Ce jour-là, les brigands relâchèrent

  1. C’est un de ces livres que les colporteurs distribuent si libéralement aux populations des montagnes.