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arborer, au faîte de la mosquée principale, une sorte d’étendard sur lequel est inscrite la salutation de l’ange à la Vierge. Un chevalier maure, pour venger l’outrage fait à Mahomet, attache à la queue de son cheval ce singulier trophée et vient défier les chrétiens. Bientôt il tombe sous les coups d’un guerrier castillan qui, rapportant à ses souverains la tête du profanateur, est proclamé le champion de Marie, et comblé d’honneurs extraordinaires. Il y a dans cette œuvre étrange une paraphrase poétique de l’Ave Maria et de nombreuses invocations à la Vierge, qui prouvent que l’auteur, ainsi que l’indique d’ailleurs le titre de la pièce, s’était proposé pour but principal la glorification de la mère du Sauveur. Ces élans d’une ardente dévotion sont encadrés dans un tableau animé d’une des plus brillantes époques de l’histoire d’Espagne. Les noms héroïques, les exploits chevaleresques, les souvenirs d’amour et de galanterie, consacrés par les romances et par les vieux romans, se présentaient en foule au poète. Il en a tiré parti pour donner à son œuvre, d’ailleurs assez médiocre, une sorte d’éclat et d’intérêt qui l’a soutenue au théâtre jusque dans ces derniers temps.

Parmi les guerriers qu’il y fait figurer se trouve le fameux Gonzalve de Cordoue, qui en Espagne, et on peut dire dans l’Europe entière, a conservé par excellence le titre de grand capitaine, devenu pour lui une sorte de nom propre. Gonzalve de Cordoue est peut-être, après le Cid, le plus célèbre et le plus populaire des héros espagnols. Il a encore avec lui un autre point de ressemblance. De même que les exploits du Cid ferment en quelque sorte les temps fabuleux de l’Espagne et commencent le véritable moyen âge, Gonzalve de Cordoue, qui appartient encore au moyen âge par ses combats contre les Maures, commence, pour ainsi dire, l’histoire moderne de la Péninsule. Ses victoires d’Italie sont le premier acte par lequel l’Espagne, délivrée de ses ennemis intérieurs et réunie enfin en une seule monarchie, se produisit avec éclat sur la scène de la politique européenne.

Un poète du temps de Charles II et de Philippe V, Canizares, le dernier des écrivains dramatiques de l’ancienne école, a composé sur Gonzalve de Cordoue une comédie fort remarquable, les Comptes du grand Capitaine. Elle nous le montre dans tout l’éclat de la gloire et de la grandeur où l’avait porté la conquête du royaume de Naples. L’action roule sur les intrigues ourdies par ses ennemis pour le desservir auprès de Ferdinand-le-Catholique, pour exciter contre lui les préventions de ce prince défiant. Le caractère du roi, hésitant entre ses soupçons, sa jalousie et les ménagemens dus au puissant sujet qui a gagné pour lui tant de batailles, est fort bien tracé. Il y a de la grandeur, de la bonhomie, de la naïveté dans celui de Gonzalve, et, quoique ce ne soit pas peut-être absolument sous ces traits que nous le montre l’histoire, un tel personnage ne peut manquer de plaire et d’attacher. Garcia de Paredes, l’Ajax, ou plutôt l’Hercule espagnol du XVIe siècle, a bien cette franchise rude, cette simplicité un peu gauche, cette lenteur d’intelligence qui, dans les hommes doués d’une force physique extraordinaire, s’allient assez habituellement à la générosité et à la bravoure. Une scène fort originale,