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par la mort de ses rivaux qu’il veut assurer le succès des intrigues amoureuses qui, malgré sa passion pour Marie de Padilla, occupent une grande partie de son temps. Dans d’autres momens, moins cruel, mais non pas moins arbitraire, il veut sauver des coupables condamnés par l’assistant. Jean Pascal, toujours ferme et consciencieux, mais trop adroit, trop maître de lui-même pour ne pas comprendre qu’il faut éviter de choquer directement un semblable caractère, réussit pourtant à le contenir, tantôt en lui rappelant ses promesses, tantôt en feignant pour un moment de céder à ses emportemens, tantôt en déguisant la sagesse et l’équité de ses propres actes sous une apparence de bizarrerie et d’originalité qui ne peut manquer de frapper l’imagination de don Pèdre. Il y a encore au fond de cette ame fatalement vouée à la tyrannie un instinct de justice, un reste d’amour de l’ordre, des sentimens d’honneur qu’avec quelque adresse il n’est pas impossible de réveiller. Le roi se considère comme lié envers l’assistant par les promesses qu’il lui a faites ; il éprouve d’ailleurs un puissant attrait pour cette nature vigoureuse et un peu sauvage dont les caprices adroitement simulés amusent son esprit fantasque. Sa curiosité se complaît à voir Jean Pascal lutter contre les difficultés innombrables de la tâche qu’il a acceptée ; quelquefois même il s’ingénie à lui en susciter de nouvelles pour voir comment il s’en tirera. C’est une sorte de défi, une lutte étrange, mais qu’explique parfaitement le caractère de ce prince.

Cette lutte se termine dignement par un incident que le poète a emprunté à la tradition. Don Pèdre, qui a conçu une vive passion, ou plutôt un caprice violent, pour la fille de Jean Pascal lui-même, a essayé de s’introduire pendant la nuit dans la maison de l’assistant. Il a tué un homme qui voulait lui en interdire l’entrée. Avant que les voisins accourus au bruit du combat aient pu l’apercevoir, il est parvenu à s’échapper ; mais il a été reconnu par une vieille femme qui travaillait à sa fenêtre à la clarté d’une lampe. Elle l’a reconnu à un certain bruit que faisaient ses genoux en se choquant lorsqu’il marchait avec précipitation. Interrogée par Jean Pascal, qui, pour découvrir le meurtrier, a fait arrêter tous les habitans de la rue où le crime a été commis, ce n’est pas sans hésitation qu’elle se décide a avouer le secret qu’elle seule possède. Il lui prescrit le plus profond silence et poursuit la procédure dans la forme accoutumée. Le roi, avec une malicieuse ironie, recommande à l’assistant de ne rien négliger pour trouver le coupable, de le punir rigoureusement, quel qu’il puisse être, et bientôt il lui témoigne sa surprise, son mécontentement, des lenteurs du procès. Jean Pascal ne se déconcerte pas. Au bout de quelque temps, il vient annoncer au roi que l’enquête est terminée, le coupable connu, que le crime a été commis par un de ces hommes pour lesquels on fait quelquefois taire les lois, et qu’il serait à propos de ne pas pousser les choses plus loin. Don Pèdre a déjà appris, par l’indiscrétion d’un des agens subalternes de l’assistant, que celui-ci sait tout ce qui s’est passé. De plus en plus curieux de voir par quel expédient il mènera à fin cette étrange aventure, il insiste pour que justice soit faite sans aucun ménagement. L’assistant, qui voulait seulement se mettre, par un ordre formel, à l’abri de la