Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.
330
REVUE DES DEUX MONDES.

veux pas que l’amour de la gloire entraîne trop loin un monarque. Ce n’est pas à lui de chercher les dangers, de se jeter dans de téméraires entreprises.

Le Roi. — Je crois que vous avez raison. Mais le roi don Pèdre est jeune, il est entraîné par l’ardeur de son âge.

Jean Pascal. — C’est là ce qui l’excuse. D’ailleurs, je ne lui reproche pas d’être brave, mais de se laisser trop souvent emporter à sa bravoure. Si, après avoir fait ses preuves, il pouvait se contenir, il en retirerait un double honneur, celui de savoir se battre, et la gloire non moins grande, à mon sens, de savoir s’en abstenir.

Le Roi. — Peut-être n’a-t-il pas la force de contenir la chaleur de son sang. Peut-être aussi ne le veut-il pas.

Jean Pascal. — Soit, qu’il se batte, je ne m’y oppose pas.

Le Roi. — Cela m’est tout-à-fait indifférent.

Jean Pascal. — Et à moi bien plus encore. Ce qui est plus fâcheux, c’est ce qu’on raconte de cette Marie Padilla.

Le Roi. — À cela je répondrai encore que le roi est jeune.

Jean Pascal. — Il n’y a pas d’âge pour les rois, en cela même ils sont dieux, et il ne leur est jamais permis de faillir. Voyez un peu les déplorables effets des scandales qu’ils nous donnent, eux qui sont, pour ainsi dire, les patrons sur lesquels se modèlent les peuples qu’ils gouvernent ! Quel miroir à présenter à leurs sujets pour qu’ils y cherchent leur image ! C’est l’absence de justice qui amène toutes ces rébellions : de là vient qu’on obéit par crainte, et non par amour.

Le Roi. — Permettez, j’ai encore quelque chose à dire en faveur du roi. Quant à la Padilla, c’est un amusement qu’il faut bien lui passer, car enfin il est homme, et les héros les plus célèbres n’ont pas échappé à cette faiblesse, dont le temps au surplus vient bientôt les guérir. J’ajouterai qu’il attend, pour l’épouser, cette belle fleur de France, Blanche de Bourbon, dont l’arrivée mettra fin à toutes ces folies de jeunesse. (À part.) Je ne dis pas ce que je pense, je sens trop la force de ma passion. (Haut.) Il est vrai que Séville est agitée, qu’on s’y plaint du gouvernement, et que cette inquiétude des esprits contribue à la misère qu’on y éprouve ; mais la faute n’en est pas au roi. Dans les guerres civiles qui ont désolé ce royaume, l’expérience a prouvé que si, pour rétablir l’ordre, on emploie les moyens de douceur, le mal résiste à leur insuffisance. Si, au contraire, on veut recourir au feu et au fer pour retrancher la partie gangrenée, pour arrêter les progrès du poison, un pareil remède fait horreur, et le roi dont le courage s’échauffe de plus en plus par l’effet de l’opposition qu’il rencontre, le roi, qui s’est montré justicier, passe pour cruel. On ne veut pas voir qu’aux grands maux il faut de grands remèdes, et qu’une main énergique peut seule empêcher le pays de se perdre dans un abîme.

Jean Pascal. — Eh bien ! je vous répète que tout cela vient de l’absence de justice. Remarquez bien qu’il y a justice et justice. Un châtiment répand une crainte utile, une exécution est une leçon salutaire ; mais, lorsqu’on voit le glaive de la loi toujours levé, toujours ensanglanté, la colère qu’on éprou-