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THÉÂTRE ESPAGNOL.

me suis retiré dans ce pays, où je possède quelques terres que j’ai héritées de ma femme et qui me font vivre avec ma fille et quelques serviteurs. J’y mène une existence douce et tranquille, et moi aussi, je suis roi dans ma maison, puisque j’y exerce le droit de punir et de récompenser.

Le Roi. — Si vous avez servi le roi, comment n’avez-vous reçu de lui ni emploi ni pension ?

Jean Pascal. — Il n’y en a pas pour tout le monde, et je n’ai pas été heureux en cela.

Le Roi. — En ne vous récompensant pas, le roi s’est montré injuste.

Jean Pascal. — Mon gentilhomme, je n’ai rien dit de semblable, et on ne tient pas devant moi de tels propos. Le roi est toujours juste, et si un grand nombre de ceux qui l’ont servi restent sans récompense, ce n’est pas sa faute. S’il n’y a qu’un seul emploi pour cent prétendans, quatre-vingt-dix-neuf, pour le moins, ne doivent-ils pas rester mécontens ? Eh bien ! j’ai été un de ceux-là, la fortune m’a regardé de son mauvais œil. Ce qui me console, c’est que, sujet et soldat, je n’ai manqué à aucun de mes devoirs. Le roi Alfonse, que j’avais servi, est mort, et je me suis retiré au moment même où son fils est monté sur le trône.

Le Roi. — Vous avez eu tort. Si vous ne vous êtes pas adressé à lui, de quoi vous plaignez-vous ?

Jean Pascal. — Je ne me plains pas, mais j’ai voulu au moins tirer parti de mon expérience. Je n’avais rien obtenu du roi que j’avais servi pendant tant d’années ; que pouvais-je attendre d’un nouveau souverain, auprès de qui tout ce que j’ai pu faire ne m’eût servi de rien, si je n’eusse commencé par perdre beaucoup de temps à me faire connaître de lui ? (À part.) Le courtisan est curieux.

Le Roi, à part. — Le campagnard n’est pas sot. (Haut.) Je crois que vous avez raison. On accuse d’ailleurs le roi don Pèdre d’être violent, rigoureux et même cruel.

Jean Pascal. — Vous saurez mieux que moi ce qui en est. Je ne l’ai aperçu de ma vie.

Le Roi. — Mais vous aurez souvent entendu parler de lui de cette façon.

Jean Pascal. — Oh ! les bruits publics méritent peu qu’on s’y arrête. Le vulgaire s’attache moins à la vérité qu’aux premières impressions qu’il a reçues au hasard, et que rien ensuite ne lui ferait perdre.

Le Roi. — Eh bien ! on lui a fait une réputation de cruauté.

Jean Pascal. — S’il en est ainsi, elle lui restera. J’ai entendu dire qu’il est brave. C’est le seul reproche que je lui fasse.

Le Roi. — Comment ! la bravoure est-elle un défaut, dans un roi surtout ?

Jean Pascal. — Oui, lorsqu’un roi, oubliant ce qu’il est, veut faire usage de son courage personnel. Les rois sont-ils donc les dieux de la terre pour recourir à des armes qui les mettent au niveau de tout le monde ? Est-il convenable qu’une main qui ne devrait s’ouvrir que pour répandre des bienfaits, verse un autre sang que celui des ennemis ? Et encore même à la guerre, je ne