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THÉÂTRE ESPAGNOL.

lice ; plus près de toi, je pourrai te diriger : mon souffle, ma voix t’animeront ; permettez-le, madame.

L’Infante. — Oui, Arias, je ne vous retiendrai plus, ce n’est plus le temps de trembler et de s’attendrir ; le feu de la vengeance a séché les pleurs de la tendresse ; il me semble que mon cœur s’est endurci, que mon ame s’est fortifiée… Allez venger votre père et vos frères.

Arias. — Et pour t’animer à venger tes frères, regarde leur sang qui couvre l’épée et les mains de ton vaillant ennemi… Ne pense qu’à ton honneur. Ouvre les yeux au danger, mais ferme ton cœur à la crainte. Affermis-toi sur ta selle. Invoque d’abord l’aide de Dieu. Pique ton cheval lorsqu’il en sera temps, porte ta lance d’une main assurée, manie ton épée avec dextérité. Et tout cela, hélas ! servira de bien peu si le bonheur te manque !

Rodrigue Arias. — Vous semblez douter de ce que je ferai. N’ai-je pas depuis long-temps appris à l’Espagne que je sais vaincre et donner la mort ? Il m’est pénible, mon père, que ce soit vous qui paraissiez me méconnaître. Plût à Dieu que j’eusse précédé mes frères dans le champ clos !


Le combat s’engage ; la fortune reste quelque temps indécise entre les deux héros, leur sang coule. L’épée de Diego de Lara brise le casque de Rodrigue Arias ; mais celui-ci, d’un coup plus décisif, coupe les rênes et fend la tête du cheval de son adversaire. Le coursier expirant emporte au-delà de la barrière son maître, qui ne peut plus le diriger.

Rodrigue Arias, mortellement blessé, tombe entre les bras de son père, Diego de Lara veut rentrer dans la lice pour achever sa victoire, mais on lui crie qu’il est vaincu, puisqu’il est sorti de l’enceinte du champ clos. Une vive contestation s’élève. On décide enfin par accommodement que Zamora est purgée de l’accusation intentée contre elle, mais que Diego de Lara est victorieux. Rien de plus pathétique que le désespoir de Lara, dont l’orgueil regarde une victoire incomplète comme une défaite honteuse ; rien de plus touchant que l’exaltation héroïque du jeune Rodrigue, qui, au moment de rendre le dernier soupir, et pouvant à peine proférer quelques mots, ne pense qu’à demander quel est le vainqueur.

Une autre scène très belle et très caractéristique, qui, d’ailleurs, est tout entière empruntée aux romances, c’est celle où le frère du roi assassiné, Alfosse, rappelé de l’exil pour monter sur le trône, reçoit de ses nouveaux sujets le serment de fidélité. Le Cid seul se tient à l’écart.


Le Roi. — Don Rodrigue de Bivar, pourquoi gardez-vous seul le silence ?

Le Cid. — Écoutez, sire, les motifs qui m’empêchent de vous prêter serment ; ils n’ont rien qui doive vous offenser. On a osé répandre le bruit insensé que j’ai été complice pour vous de la mort de votre frère. Il faut prouver que cette accusation est fausse.

Alfonse. — Et comment ?

Le Cid. — En mettant la main sur le crucifix.