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ginal emprunté aux romances, et qui n’est pas de tout point conforme à la physionomie que lui donne Corneille. Ces romances et les drames qui en ont été tirés nous le montrent brave et généreux, religieux, dévoué au devoir et à l’honneur. En lui, la fidélité la plus loyale à son souverain s’unit à un noble esprit d’indépendance : il subit l’exil plutôt que de s’humilier devant un roi injuste et qui ne lui pardonne pas, malgré ses services, d’opposer d’honorables scrupules et de courageuses représentations aux entreprises d’une ambition inique ; mais cet exil, il le consacre à vaincre les ennemis de son ingrat souverain, à étendre sa puissance. Il a toute la franchise et la rudesse des camps. Habitué à combattre et à commander, il semble mal à l’aise lorsqu’il se trouve momentanément condamné à l’oisiveté de la cour. Trop plein peut être du juste sentiment de sa supériorité, il est également hors d’état de supporter la moindre contradiction de la part des courtisans qu’il méprise et de dissimuler le mépris qu’il a pour eux. Son indignation, son impatience, se manifestent à chaque instant par de brusques saillies, par des railleries piquantes. Il ne respecte que le roi, et, tout en le respectant, il ne le flatte pas, il ne sait pas se plier envers lui à ces formes obséquieuses auxquelles les princes sont trop accoutumés pour ne pas s’irriter contre ceux qui y manquent ; il ne sait pas même adoucir par l’expression les austères avis que son zèle lui dicte quelquefois. On devine à son langage qu’il ne sera jamais un favori, qu’on acceptera, qu’on recherchera même ses services dans le moment du danger, mais qu’on le trouve incommode, exigeant, peu respectueux, et que le jour de la disgrace viendra tôt ou tard pour lui. — Nous l’avons dit, ce n’est pas là le Cid de Corneille, qui ne nous le présente d’ailleurs que dans sa première jeunesse, et qui en fait un modèle d’élégante courtoisie non moins que de générosité et de courage, un vrai paladin de nos vieux romans ; mais c’est bien le héros espagnol du moyen-âge, embelli sans doute par la tradition comme tout ce qui est destiné à vivre dans la poésie.

Il y a dans ce drame une scène bien pathétique, le fonds en est emprunté aux romances, mais Guilen de Castro l’a admirablement développé. Le roi don Sanche vient de mourir assassiné. Son meurtrier est sorti des murs de Zamora, où le roi assiégeait l’infante sa sœur, qu’il voulait dépouiller de son patrimoine. Un des principaux guerriers du camp royal, Diego de Lara, a accusé les habitans de Zamora de complicité dans l’assassinat, et, suivant les usages du moyen-âge, il les a défiés en combat singulier pour soutenir cette accusation contre les champions qu’ils voudront désigner. Suivant ces usages encore, il a par là contracté l’obligation de combattre successivement contre cinq guerriers. Le vieil Arias Gonzalo, le conseiller, le défenseur de l’infante qui lui a été recommandée par son père mourant, se présente avec ses quatre fils pour défendre l’honneur de Zamora. Malgré son âge, il veut descendre le premier dans la lice. Les supplications de l’infante, qui lui demande en pleurant de ne pas oublier qu’il est son seul appui au milieu des infortunes dont elle est accablée, peuvent à peine le déterminer à laisser combattre avant lui ses enfans. L’infante, en grand deuil, monte sur un échafaud d’où elle doit assister à la