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Le supérieur du séminaire de Terracine, espèce d’illuminé dont la piété théâtrale était en grande vénération dans le pays, s’était offert au gouvernement comme médiateur entre l’état et les brigands, et le gouvernement avait accepté cette offre étrange. Cet homme, qui passait pour l’un des plus éloquens prédicateurs du pays, et qui, à l’exemple de tous les parleurs, croyait beaucoup trop au pouvoir des mots, s’arme un jour d’un grand crucifix, et seul, errant dans la montagne, se met à la recherche des bandits. Il ne les rencontra qu’au bout de plusieurs jours ; alors, s’adressant aux principaux d’entre eux, il les conjure par le sang et les souffrances du Christ de poser les armes. — Épargnez vos concitoyens, leur dit-il, et cessez d’être le fléau et l’épouvante du pays. Que demandez-vous ? un pardon général ? je vous l’apporte. Que désirez-vous encore ? des pensions, des emplois ? le gouvernement vous les promet. Bien plus, il s’engage à révoquer le décret porté contre Sonnino, à reconstruire vos habitations détruites, à mettre en liberté vos compagnons détenus dans les prisons. — Cette éloquence toute positive était la seule qui eût le pouvoir de séduire ses auditeurs. Le prêtre les voit se consulter l’un l’autre ; il profite de ce moment d’hésitation, et, faisant intervenir la Vierge, saint Antoine et le Christ, dont le moindre de leurs crimes fait saigner les blessures, il les décide à accepter ces propositions que le gouvernement n’eût jamais dû l’autoriser à leur faire.

C’est peu d’avoir désarmé ces hommes redoutables ; le nouvel apôtre veut les convertir et faire de chacun de ces coupables endurcis autant de pécheurs repentans. L’exemple du bon larron ne doit pas être perdu pour eux. Ces hommes feignent d’être séduits par l’éloquence du prêtre, peut-être même sont-ils momentanément touchés ; ils le suivent dans son séminaire de Terracine. Là, pendant quelques jours, les nouveaux convertis mènent une vie exemplaire ; le jeûne, la prière et les exercices religieux occupent tous leurs momens. Jamais pécheurs plus grands n’ont donné plus rapidement l’exemple d’une piété plus attendrissante. On eût dit, à les voir prosternés chaque jour au pied des autels, qu’il n’y avait qu’un pas du brigandage à la vie des cloîtres.

Cette pieuse comédie durait déjà depuis quelque temps ; chacun félicitait le recteur du succès inespéré de son œuvre ; il passait dans le pays pour un saint, un faiseur de miracles, et à Rome pour un homme habile, quand tout à coup la scène changea, et à cette exposition évangélique succéda le dénouement le plus tragique et le moins attendu. Des affaires de discipline appelèrent à Rome le supé-