Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
REVUE DES DEUX MONDES.

moires du Diable, si volumineux cependant, n’étaient, à ce qu’il paraîtrait, que le prélude et la mise en train. Dans les premières pages de son livre, M. Soulié s’appesantit un peu trop sur ces peintures si souvent reproduites des habitudes de la province. L’éternel sous-préfet en butte aux éternelles factions que renferment dans leur sein toutes les petites villes explorées par M. de Balzac et par M. de Bernard, nous occupe bien long-temps des misères déjà analysées et de toutes les tracasseries prévues d’une position mille fois décrite. Nous nous presserons plus que M. Soulié d’arriver à l’action principale, à celle que promet cette première phrase, plusieurs fois répétée ensuite, où l’auteur nous semble avoir enchâssé son plus gros diamant parmi tous les trésors de beau langage dont il n’a garde de s’abstenir : « En ce temps-là nous batifolions avec les chambrières de ces dames. » Mlle Agnès de Hautefeuille est une fille de trente ans dont la dot est très ardemment convoitée par un petit cousin mauvais sujet et ruiné, le vicomte de Chamby. Le vicomte, qui est sûr d’être puissamment aidé par la faiblesse secrètement avouée de sa cousine, est décidé à se servir des moyens familiers à la rouerie pour hâter les mariages utiles. Mlle Agnès a une suivante qu’il faut absolument gagner. Chamby y réussit parfaitement en montrant à la drôlesse (style de la tradition française suivie par M. Soulié) ce que valent ses vingt ans. C’est donc cette suivante, qui se nomme Geneviève, dont l’industrie, durement qualifiée par l’auteur lui-même, doit aider le vicomte dans ses hardies entreprises. Mais voilà que, le soir même choisi par Chamby pour exécuter son perfide dessein, arrive une petite personne de seize ans, ingénue et gracieuse, qui n’est autre que Mlle Julie de Hautefeuille, sortie pour un jour d’un couvent où elle est reléguée jusqu’au mariage éternellement différé de sa sœur.

Le beau vicomte s’enflamme subitement pour la pensionnaire, et vous imaginez peut-être qu’il va renoncer à sa tentative ; pas du tout. Seulement, Mlle Agnès reçoit à son réveil, le lendemain d’une funeste nuit, une lettre où son cousin, au nom de l’autorité tout-à-fait particulière qu’il vient d’acquérir sur elle, lui demande la main de sa sœur cadette, et la somme d’épouser un vieux marin de cinquante ans, M. le comte de Fernaie, avec menace d’indiscrétion et de scandale en cas d’hésitation.

Aussi Agnès n’hésite pas, et le double mariage s’accomplit ; mais, sous cette résignation apparente, le lecteur, si ce n’est le héros, sent qu’il est menacé de l’inévitable vengeance. La chambrière reparaît, placée par la sœur aînée auprès de sa jeune sœur, qu’elle a mission de corrompre. Geneviève réussit dans sa détestable tâche ; et, quand des lettres écrites par la jeune vicomtesse au chevalier de Blanzay sont des preuves suffisantes pour exciter la fureur du mari, Mme de Fernaie, maîtresse de sa vengeance, donne à Chamby un rendez-vous au bal de l’Opéra, où tout sera dévoilé. Ce n’est pas Chamby qui va à ce rendez-vous, c’est un ami officieux, qui reçoit sous le domino les confidences d’Agnès ; il se démasque, et elle s’évanouit. Difficultés et complications de toute sorte ! L’ami a reçu une partie des lettres accusatrices, mais Mme de