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encore rendre des services à l’Opéra-Comique, car c’est sur elle que ce théâtre compte, sur elle et sur M. Auber. On nous promet pour la saison une partition nouvelle du chantre si distingué de l’Ambassadrice et du Domino noir ; il n’en faut pas davantage pour décider la fortune. L’Opéra-Comique ne demande qu’à marcher ; seulement rien n’est difficile comme de le maintenir dans les limites de son genre et de ne point les dépasser d’un côté ou de l’autre. Depuis long-temps on lui reprochait avec raison de négliger la musique, et, pour faire droit à l’opinion, il s’est procuré à grands frais, à trop grands frais sans doute, des gens qui se donnaient pour des chanteurs, et qu’il a eu la bonhomie de prendre sur parole. Qu’arrive-t-il ? À côté de son ancienne troupe, l’Opéra-Comique en possède aujourd’hui une nouvelle, troupe italienne et bâtarde qui ne saurait dire un mot de français, méprise souverainement le dialogue et pour cause, et qui, en revanche, ne chante guère plus que l’autre. De là un surcroît de charges excessif, une confusion dans le personnel dont rien n’approche. Nous ne blâmons pas l’Opéra-Comique d’avoir cherché à se régénérer, à Dieu ne plaise ! nous voudrions le voir aussi riche en beaux talens que le Théâtre-Italien par exemple ; le mal, c’est d’avoir engagé des chanteurs qui ne chantent pas. Quels grands profits a-t-on retirés d’Eva ? quels résultats fructueux de l’Opéra à la Cour, ce pasticcio déplorable où l’on n’a pas craint de travestir indignement les plus belles inspirations des grands maîtres, tout cela pour que M. Botelli vînt nous dire une cavatine, et que Mme Eugénie Garcia se donnât le plaisir de nous chanter en manière de couplet final le Se il padre m’abandonna d’Otello, cette magnifique phrase que nous entendons tous les jours à la place où le maître l’a mise, et chantée par des cantatrices d’un autre ordre ? Franchement, on n’a pas abordé la question, on a voulu se régénérer par la musique, et l’on n’a eu ni musique ni chanteurs. Tout ce que le public a gagné au change, c’est qu’on lui donnât des chefs-d’œuvre de la trempe d’Eva et de l’Opéra à la Cour à la place des amusantes imaginations de M. Scribe. En fin de compte, on s’est trouvé n’avoir emprunté aux Italiens que leurs libretti décousus. Or, jamais le public de l’Opéra-Comique n’acceptera de pareils arrangemens ; on consent bien à faire bon marché d’une pièce, mais à condition qu’il y ait là, pour en relever les platitudes, une musique intéressante et des exécutans de première volée. À vrai dire, ces prétendus chanteurs, bien loin de servir à la fortune du théâtre, ne feraient que hâter sa ruine. M. Botelli n’a qu’une pauvre voix ; M. Masset, avec une émission facile, un timbre clair et pur, ignore les premiers élémens de l’art du chant, et son air gauche sur la scène, ses manières décontenancées, empêcheront toujours qu’on l’utilise. Quant à Mme Eugénie Garcia, malgré ses belles qualités de style, qualités qui du reste dégénèrent trop souvent en emphase, jamais le public de l’Opéra-Comique ne l’adoptera. Or, on paie Mme Garcia fort cher, aussi cher que Mme Damoreau, qui remplit la salle.

Avec ces prétentions des chanteurs, il n’y aura bientôt plus de théâtre pos-