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son Ambassadrice, son Domino noir, sa Zanetta, qui n’est plus à l’Opéra, comme on sait. On parle toujours des jeunes gens, on ne cesse de se répandre en belles élégies sur ces jeunes victimes que les grands prêtres de l’Institut couronnent de lauriers pour les envoyer ensuite s’ensevelir dans le sépulcre de la ville éternelle. Certes, l’occasion est admirable aujourd’hui ; les avenues du temple sont ouvertes, nul gardien formidable n’en défend l’approche ; qu’ils paraissent donc une fois, ces hommes de génie, et que nous en ayons le cœur net. Le malheur veut qu’il en soit de tous ces jeunes musiciens méconnus comme de tant de belles choses dont on parle tant ; les musiciens méconnus ne sont au monde que pour servir de thème aux déclamations des envieux et des bavards. Voyez si jamais la disette fut plus grande, comptez les maîtres en état d’alimenter un théâtre, et, quand vous serez à cinq, la phalange sera complète. Or, derrière cette phalange, qui trouvez-vous ? Personne. Combien de fois n’a-t-on pas répété que les musiciens mouraient faute de théâtres ; c’est justement le contraire qui arrive, les théâtres aujourd’hui meurent faute de musiciens. En des circonstances aussi critiques, l’administration de l’Opéra a dû recourir à M. Donizetti. Lorsqu’il s’agit de bâcler un chef-d’œuvre, M. Donizetti n’est jamais en défaut ; il écrit des partitions au mois, à la semaine, à la journée, selon qu’on les lui commande, ou plutôt il tient toujours en réserve dans ses malles de quoi satisfaire aux exigences du moment. Voulez-vous cinq actes, n’en voulez-vous que deux, vous êtes sûr avec lui d’être toujours servi à point. Quant à la pièce, M. Scribe se charge de la revoir ; elle change de titre, s’appelle les Martyrs au lieu de Polyeucte, la Favorite au lieu de l’Ange de Nisida, et vous avez au moins l’avantage de ne point attendre. Reste à savoir si le public de Paris prendra goût à cet éternel replâtrage de cavatines et de morceaux pris çà et là dans des opéras tombés à Naples, à Milan, à Venise, et dont M. Donizetti compose assez volontiers ses partitions nouvelles. Il semble que le triste échec des Martyrs aurait dû lui servir de leçon et l’engager à traiter son monde avec plus de convenance. Vraiment on a peine à concevoir qu’un homme qui a écrit le troisième acte de la Lucia puisse faire assez bon marché de son inspiration que de la débiter ainsi à tout propos sans raison ni mesure. Au Théâtre-Italien, ces choses passent encore, grace au merveilleux talent des chanteurs, qui sont toujours prêts à couvrir de leurs propres ressources les pitoyables négligences du musicien ; mais, à l’Opéra, il faut absolument payer de sa personne, car il n’y a là ni Rubini, ni la Grisi pour suppléer à l’absence du maître ou le relever s’il trébuche. D’ailleurs, ces opéras décousus, ces partitions faites de pièces et de morceaux sont tout-à-fait en dehors de nos habitudes dramatiques, et M. Donizetti fera bien d’y penser avant de tenter cette nouvelle épreuve.

L’hiver se passera encore sans qu’on entende l’opéra nouveau de M. Meyerbeer. L’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots a résisté à toutes les sollicitations de l’administration, qui sent bien que c’est là pour elle une question de vie ou de mort. Tout ce qu’on a pu obtenir de lui, c’est qu’il vînt en causer