Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
REVUE. — CHRONIQUE.

gaire sous M. Duponchel, lorsque le succès se maintenait encore, grace aux efforts surhumains de Duprez, qui nous arrivait alors dans toute l’énergie et la puissance d’un magnifique talent ; enfin, sous l’administration nouvelle, l’ère de déclin, l’ère critique. Dans l’histoire de l’Opéra, cette période dernière datera certainement de la restauration de la salle, car il semble que tout se tienne dans les malheurs de ce théâtre ; il n’y a pas jusqu’à ces ornemens nouveaux, d’un goût sombre et sévère, qui n’augmentent la tristesse de ces lieux si rians autrefois. Ces mornes tentures de velours rouge donnent à la décoration je ne sais quel air lugubre et sépulcral : on dirait que le peintre, en arrangeant la salle, a dû se conformer à quelque triste pensée, et la faire telle qu’on y pût au besoin célébrer des funérailles, les funérailles de l’Opéra.

Le répertoire, loin de s’enrichir, s’amoindrit à vue d’œil, grace à la défection de sujets sinon du premier ordre, du moins indispensables au théâtre et sans lesquels certaines partitions ne peuvent se produire. On avait M. de Candia, un chanteur que le public aimait, une voix de ténor juvénile et claire, une voix naturelle et de facile émission, qui reposait de temps à autre de tant d’efforts et de clameurs. M. de Candia s’en est allé aux Italiens, et voilà qu’on ne peut plus jouer Robert-le-Diable. Nous passerons sur l’engagement de M. Marié, étrange virtuose à la poitrine athlétique, aux épaules robustes, qui vocifère plutôt qu’il ne chante, et dont le principal mérite consiste à ralentir les mouvemens de manière à rendre un morceau méconnaissable aux gens qui le savent par cœur. Les théâtres lyriques s’arrachaient naguère M. Marié. L’Opéra-Comique et la Renaissance se disputaient à qui l’aurait ; pendant la querelle, l’Opéra survint qui le prit pour lui. C’est un peu l’histoire de l’huître et des plaideurs, avec cette différence pourtant que cette fois les plaideurs ont eu beau jeu et se frottent les mains. Ainsi Duprez et Levasseur, Duprez qui succombe à la tâche, et Levasseur, dont les droits à la retraite sont incontestables (il suffit de consulter sa voix pour s’en convaincre), tel est pour les hommes tout le personnel sérieux de l’Académie royale de Musique ; quant aux femmes, il y a Mme Dorus, cantatrice de goût et de zèle, dernier débris, avec Levasseur, de la période florissante ; il y a aussi Mme Stoltz et Mme Widmann qui appartiennent parfaitement à la nouvelle. Maintenant, voyons quelles grandes partitions l’avenir nous réserve. De ce que les chanteurs manquent, il ne s’ensuit pas que les opéras doivent manquer. On dit à Berlin que les Italiens ont de mauvaise musique et de bons chanteurs, et les Allemands de bonne musique et de mauvais chanteurs : pourquoi ne ferions-nous pas comme les Allemands ? pourquoi n’aurions-nous pas des chefs-d’œuvre du genre de Fidelio, d’Oberon, ou d’Euryanthe, puisque nous avons de pauvres chanteurs ? Malheureusement les seuls maîtres qui pourraient relever la fortune chancelante de l’Opéra se taisent à cette heure ou font défection. Rossini s’enveloppe plus que jamais dans son irrévocable silence, Meyerbeer dirige la chapelle du roi de Prusse et traduit en musique l’Athalie de Racine pour son auguste maître, et M. Auber travaille pour sa cantatrice de prédilection, pour