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REVUE. — CHRONIQUE.

dable lorsqu’il s’agit de mener un ensemble ; l’autre, plus éclatante de talent, de voix et de beauté, que nous ne l’avions entendue, que nous ne l’avions vue encore. Le rôle de Norma, l’un des plus importans du répertoire, ce rôle taillé sur la mesure de la Pasta, loin d’embarrasser la Grisi, la soutient et l’anime. D’un bout à l’autre, on sent qu’elle y marche dans sa force et sa liberté, en cantatrice, en tragédienne. La cavatine, le grand trio, sont pour elle autant de sujets d’inspiration et de triomphe. Il est impossible de chanter Casta diva avec un timbre d’or plus pur, une grace plus douce et plus mélancolique ; on dirait que toutes ces petites notes qu’elle égrène dans ses roulades ont la fraîcheur des gouttes de rosée qui tremblent sur les feuilles du gui qu’elle va cueillir. Dans le trio, elle touche au sublime. Il faut dire aussi que c’est là une bien admirable musique. Point de bruit dans l’orchestre, point d’ophycléides, ni de timbales, ni de trombones, tout par la mélodie, par la seule action d’une phrase mélodique, grandiose, puissante, qui se développe comme dans le discours une magnifique période. Mettez une grande cantatrice avec des inspirations musicales de ce genre, et vous verrez quel effet en résulte. La Grisi dirige ce trio à elle seule : elle est seule comme Norma, seule contre son Pollion et son Adalgise, qui, loin de la seconder, l’embarrassent en jetant à tout moment leurs clameurs de comédiens subalternes au travers de ses fureurs de prêtresse gauloise ; n’importe, malgré son Pollion qui chante faux, et son Adalgise de cire, la Grisi mène à bout l’entreprise et parvient à se rendre maîtresse du public et de la situation par la force de la musique, de sa voix, de son talent et de sa beauté, car tout cela se tient, et, malgré qu’on en dise, il n’y a pas de grande cantatrice sans la beauté. — L’administration du Théâtre Italien, dont la sollicitude n’est jamais en défaut lorsqu’il s’agit de veiller à l’exécution des chefs-d’œuvre du répertoire, fera bien de se pourvoir au plus vite d’un soprano en état de remplir les rôles de seconde femme. La personne qui, pour le moment, joue Adalgise, est complètement incapable de tenir cet emploi, et sa présence s’oppose obstinément à certains bons effets que le public cherche et qu’il ne trouve plus. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, le charmant duo qui ouvre le second acte, et qu’au temps de Mlle Assandri on ne manquait jamais de faire répéter, passe aujourd’hui inaperçu. Ce chant sourd et monotone, sans inflexion ni mesure, qu’on se donnerait le plaisir de ne pas écouter dans toute autre occasion, devient une chose véritablement fâcheuse, lorsqu’il se mêle bon gré mal gré à quelque scène intéressante et ternit de son voisinage les belles intentions de la Grisi. Nous aurions voulu voir aussi dans Pollion un ténor sérieux. Ce rôle, bien que d’une importance secondaire, n’en a pas moins part aux morceaux essentiels de l’ouvrage, et pour cela réclame un sujet du premier ordre ; car, si d’un côté ce personnage n’a rien en soi d’avantageux ni de brillant, de l’autre il peut à tout instant compromettre l’exécution. C’était trop peu pour Rubini, c’est trop pour M. Mirate. Il est à souhaiter qu’après ses débuts M. de Candia se charge de la partie de Pollion. Dans quelques jours, nous aurons la Lucrèce Borgia de