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REVUE. — CHRONIQUE.

pour sauver la Grèce : le concours, les efforts des puissances seraient nécessaires pour anéantir l’Égypte. On a créé par la force ce qui n’existait pas : y aurait-il justice, saine politique, à détruire ce qui est ?

Si le gouvernement français pouvait, à toute rigueur, dans son amour de la paix, attendre sans trop d’impatience l’issue des évènemens de la Syrie, et épier en silence les occasions d’une transaction honorable, cette impassibilité silencieuse devenait impossible le jour où, par un acte solennel, on prétendait effacer l’établissement égyptien du nombre des faits accomplis et reconnus. La France a pu laisser dans l’incertitude le sort définitif de la Syrie ; là où elle avait toujours vu matière à négociations, une question à vider par des concessions réciproques, elle a pu, sans trop s’émouvoir, permettre à la Porte quelques tentatives qui, loin de lui rendre l’entière possession de la province perdue, ne feront probablement que lui prouver de plus en plus qu’il n’y a pas pour elle de meilleur parti qu’une transaction franche et honorable. Dans tous les cas, avant de prendre une résolution, la France pouvait sans danger profiter de sa position d’isolement, et, libre de ses mouvemens et de son action, prendre conseil des évènemens. Mais dès le moment que la déchéance du vice-roi a été prononcée, la France aurait manqué à sa dignité et à sa loyauté, si elle avait gardé le silence, si elle avait donné lieu d’affirmer qu’elle avait eu, sans en témoigner le moindre ressentiment, connaissance d’un fait de cette nature, d’un acte qui, réalisé, troublerait profondément l’équilibre européen. Encore une fois, que l’Égypte soit un fief de la Porte, nul ne s’y oppose ; Méhémet-Ali ne demande pas autre chose. Mais l’existence de ce grand fief est acquise à l’équilibre politique. Que, relativement à la Syrie, on s’agite pour savoir quelles seront au juste les limites qui sépareront les possessions du vassal des possessions du suzerain : tant que cette agitation n’aura pas de graves conséquences, tant qu’elle n’amènera pas dans l’empire ottoman des forces ou des influences que la France ne peut y tolérer, notre gouvernement peut se borner au rôle d’observateur. Quant à l’Égypte, à son existence politique, à sa transmission héréditaire dans la famille du possesseur, la France ne peut accepter ni doute, ni restriction, ni conditions quelconques. À cet égard, ce n’est pas demain, ce n’est pas après-demain, que la résolution de la France se formerait, franche, explicite, énergique ; c’est aujourd’hui même. C’est là ce qu’il fallait faire connaître sans ambages, sans détour, à l’Europe. Tel a dû être le sens, nous en sommes convaincus, de la note qui a suivi ou accompagné le memorandum.

Si notre conjecture est fondée, il serait arrivé un de ces incidens diplomatiques qui font écrire et débiter bien des phrases. Pendant que le cabinet préparait ici sa déclaration relative à la déchéance, plusieurs des signataires du traité de Londres, effrayés eux-mêmes des conséquences d’un pareil acte, auraient donné à leurs représentans l’ordre de faire connaître que l’édit de déchéance n’était qu’un coup de tête du divan, une menace qui dans aucun cas ne devait être suivie d’effet. Aussi ne manquera-t-on pas de dire que notre