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du sultan que nul n’approuve. Cette témérité, ce sont les conventions signées à Londres qui la lui ont inspirée. C’est sous l’influence de ce pacte funeste que ce faible monarque a pris son courage à deux mains pour prononcer la déchéance de l’illustre vieillard. Ce sont les articles 2 et 7 de l’acte séparé annexé au traité, ce sont les menaces des consuls à Alexandrie qui ont inspiré aux mannequins de Constantinople cette folle pensée.

Le vice-roi déchu ! Lord Palmerston ne craint pas de le comparer à un shériff, à un préfet. Ne peut-on pas les destituer à son gré ? Mais depuis quand le gouvernement anglais devient-il si rigoriste sur le droit, si dédaigneux du fait ? Méhémet-Ali ! Mais il y aura bientôt trente ans qu’il a conquis l’Égypte, qu’il a fondé un état, tranchons le mot, qu’il règne, par le droit de l’épée et du génie. Son trône, ce sont les établissemens qu’il a faits, les institutions qui ont enfin pris racine dans ce sol que la barbarie avait si profondément ravagé. Sans doute il a employé des moyens durs, violens, que nous ne sommes nullement disposés à justifier. Mais quels sont les hommes qui les lui reprochent le plus sévèrement et qui nous font de touchantes homélies sur l’inhumanité du pacha ? Ce sont les maîtres de l’Inde, les alliés du destructeur de la Pologne ! On suppose donc que le monde a tout oublié, l’histoire du jour et l’histoire d’hier !

Aujourd’hui on signe une convention menaçant de déchéance le fondateur glorieux d’un état qui compte bientôt trente années d’existence, et qui par cela même, et par les forces qu’il possède, et par la voie qu’il a ouverte aux institutions, aux usages, au commerce, à la civilisation de l’Occident, est entré dans le système européen et fait partie de l’équilibre politique ; et hier on venait au secours de cette Grèce, qui, elle aussi, faisait partie intégrante de l’empire ottoman ; de la Grèce, qui n’avait pu encore rien faire, rien organiser ; de la Grèce, qui ne pouvait pas même se donner un chef national, qui était obligée de demander à l’Europe un roi, des troupes et de l’argent ; de la Grèce, qui, politiquement parlant, pouvait être ou ne pas être sans que l’équilibre européen en fût le moins du monde troublé. On ne s’est pas contenté de la voir renaître, de l’aider indirectement à secouer le joug humiliant de la Porte ; on l’a retirée du néant où elle était retombée ; c’est à coups redoublés, l’a-t-on oublié ? qu’on a frappé, à Navarin, sur la Porte, vaillamment, mais inutilement défendue par son fidèle vassal le vice-roi d’Égypte. Quoi donc ! ne sait-on résister au divan et le mettre à la raison que lorsqu’il y a des flottes à brûler ! Le crime du pacha d’Égypte serait-il d’avoir un grand nombre de vaisseaux dans le port d’Alexandrie ? Nous ne voulons pas le croire. Nous voulons seulement faire remarquer que la logique a ses droits, même dans les matières politiques, car l’opinion publique appuie et confirme ses arrêts. La Grèce, Dieu en soit béni ! a dû son salut à la gloire et à la puissance des souvenirs, à ce qu’elle avait été plutôt qu’à son état présent ; on espérait en faire un état de quelque importance ; cette espérance n’est encore qu’imparfaitement réalisée. L’existence politique de l’Égypte ne se fonde pas sur des espérances, mais sur des faits accomplis. Il fallait le concours, les efforts des puissances