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état de choses, le gouvernement français ne devait ni s’endormir dans une aveugle confiance, ni renoncer brusquement à l’espoir de conserver une paix digne, honorable, la seule que le pays puisse supporter. Sans doute, en présence d’un traité fait par l’Angleterre en dehors de la France, d’un traité qui en réalité déliait l’alliance anglo-française pour jeter l’Angleterre dans des voies aussi nouvelles qu’étranges, d’un traité qui annonçait la monstrueuse prétention de régler les affaires de l’Orient sans aucune participation de la France, le gouvernement devait concevoir plus de méfiance qu’il ne pouvait conserver d’espoir. L’alliance anglo-française une fois brisée, il faut bien se le dire, la paix du monde n’a plus de base solide, inébranlable. Les chances sont complètement retournées. Ce qu’on pouvait auparavant parier pour la paix, on pourrait avec les mêmes probabilités le parier pour la guerre. Dès-lors, il eût été stupide de conserver après le traité de Londres la persuasion invincible du maintien de la paix ; car, si l’alliance anglo-française n’était pas brisée, elle se trouvait du moins singulièrement affaiblie. Quelque riche que soit en affections le cœur de l’Angleterre, il ne l’est pas assez pour suffire en même temps à la France et à la Russie ; quelle que soit la confiance de lord Palmerston dans les charmes de sa diplomatie, il ne parviendra pas facilement à la faire également agréer à Saint-Pétersbourg et à Paris, de l’autocrate du Nord et des chambres françaises. Ceux-là seulement qui préféreraient la paix à toutes choses, même à l’honneur et aux intérêts de la France, auraient pu conserver, malgré le traité de Londres, une confiance illimitée dans le maintien de la paix. Mais soyons justes ; de ces hommes, il n’en est pas sur le sol français. L’esprit de parti dans ses récriminations, la logique d’opposition dans ses moyens d’attaque, ont pu sans doute présenter certains faits sous des faces diverses. Il n’y a rien là que de fort naturel. Mais nul n’a dit que le gouvernement devait rester les bras croisés en présence d’un fait aussi énorme que le traité de Londres ; tout le monde a reconnu que le gouvernement devait faire prendre au pays une attitude digne, forte, propre à le mettre en mesure de faire face à tout évènement.

Le gouvernement a fait ce qu’il devait dans la mesure du danger que le traité de Londres avait fait naître. Mais, avant de passer à des faits plus décisifs, avant de provoquer, de la part de la législature, des mesures qui, par leur grandeur et leur éclat, peuvent avoir une immense gravité et produire des effets irrévocables, le gouvernement devait attendre les actes de la nouvelle alliance, il devait pouvoir apprécier les moyens qu’elle aurait employés et par là mieux connaître le but, caché peut-être, des engagemens que lord Ponsonby et lord Palmerston ont su imposer à l’Angleterre et à leurs faibles et insoucians collègues.

Le canon de Beyrouth est venu révéler la nature de ces moyens, moyens, à la vérité, encore plus odieux qu’efficaces. L’honnête amiral Stopford l’a senti. Aussi s’est-il empressé de dire dans sa dépêche qu’il avait donné l’ordre de ne tirer que contre l’armée et contre les forts, et d’épargner la ville. On sait quel a été le résultat : des femmes, des enfans, des vieillards, écrasés sous