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Mais une simple déclaration ne serait plus suffisante aujourd’hui[1]. Un moyen se présente encore, un seul efficace par sa force morale, par le retentissement subit et universel qu’il aurait. Après l’exposition de tous ses motifs, la France sommerait à court délai les puissances de suspendre l’emploi de la force dans le Levant. Sur le refus des puissances, la France déclarerait aussitôt la rupture diplomatique ; cette mesure, appuyée par une attitude imposante des chambres et par des armemens formidables, donnerait à toutes les nations un avertissement solennel.

On nous dit : « Cette rupture, c’est la guerre ; » mais c’est précisément là l’impression qu’elle doit produire, et qui est la dernière chance qu’on ait de l’éviter. La France, en appuyant sa protestation par une rupture diplomatique avec une ou plusieurs puissances, ne s’oblige à aucun emploi positif de ses forces matérielles pour empêcher l’exécution du traité ; son honneur satisfait, elle conserve, et cette fois d’une manière profitable, toute sa liberté d’action ; elle dénonce, elle réprouve les actes des puissances, comme portant atteinte à des droits sacrés, mais elle ne s’oblige à soutenir ces droits que dans les limites que lui dicte sa propre sagesse. Ses armemens deviennent alors, mais alors seulement, des garanties pour elle-même, sans être à l’égard d’aucune autre nation des menaces, qui n’étant point expliquées, n’ont d’autre effet que d’alarmer ses voisins et de les fortifier dans l’alliance qu’ils ont contractée contre elle.

Les puissances qui assurent la France de leur désir de conserver la paix, viendraient-elles l’attaquer parce qu’elle aurait senti le devoir de protester contre l’emploi de leurs forces sans même leur opposer les siennes ? Cela n’est pas croyable, et une agression semblable ne pourrait tourner que contre l’agresseur.

La Russie sait bien qu’attaquer la France serait lui faire, du côté de la justice et du bon droit, une position égale en puissance, et bien supérieure en prestige à celle qu’elle-même a prise du côté de l’iniquité. La nation anglaise serait réveillée de son apathie ; le danger qu’elle pressent, mais dont le silence de la France lui permet encore de douter, lui apparaîtrait dans toute sa gravité. L’Allemagne serait rassurée par le langage de la France qui se montrerait prête à la guerre si on l’y force, mais sincèrement désireuse de maintenir la paix sur un respect égal des droits de tous.

  1. Le memorandum de M. Thiers, du 5 octobre, qui paraît aujourd’hui, rétablit avec une dignité et une clarté parfaites la vérité des faits qui ont précédé le traité et qui dominent encore l’Europe, mais ne prononce rien sur les intentions de la France, qu’il est si urgent de proclamer.