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bres étaient raidis par le froid, il m’aida lui-même à m’en débarrasser ; pendant que mes habits séchaient, il me fit coucher près du feu. Mes vêtemens étant secs, je me rhabillai, et je restai étendu près du foyer, tandis que les brigands faisaient griller un mouton qu’ils venaient de tuer. Ma fatigue était si grande, que je tombai dans un profond sommeil. À mon réveil, je trouvai toute la bande endormie, à l’exception des sentinelles et du chef. Celui-ci tenait au bout de la baguette de son fusil quelques tranches de mouton qu’il avait fait griller et qu’il m’offrit ; j’essayai d’en manger une ou deux bouchées, mais je ne pus ; je donnai le reste au messager de Tivoli, qui s’était couché près de moi.

Le lendemain les brigands, ennuyés d’attendre le retour du paysan envoyé à Castel-Madama pour apporter l’autre moitié de la rançon du docteur, dépêchèrent un nouveau messager chargé d’une lettre de leur prisonnier. Au moment de partir, un des brigands proposa de couper une des oreilles du docteur, et de la joindre à la lettre comme apostille pressante. Le chef fit en sorte que cette aimable proposition n’eût pas de suite ; mais au moment où le messager allait se mettre en chemin : — Rappelle-toi bien, lui dit-il, que si tu n’es pas de retour demain avant la nuit, tu peux te dispenser de nous chercher, car nous aurons jeté ce Cherubini dans quelque puits. — Cette nuit et la journée du lendemain se passèrent en marches et en contremarches sur la cime des montagnes du voisinage. Le prisonnier cependant était plus tranquille, car immédiatement après le départ du messager, le chef lui avait dit : — Maintenant que tu ne peux plus parler à l’homme de Castel-Madama, nous te promettons que demain, quelque petite que soit la somme que cet homme apportera, nous te remettrons en liberté. — Cette promesse me causa un si grand soulagement, dit le docteur, que ce bandit me parut un ange descendu du ciel, et que je lui baisai la main, le remerciant vivement de sa bienveillance inattendue. — Cette gratitude est par trop italienne, et l’on doit en conclure que le docteur Cherubini avait une bien terrible peur ; il en convient du reste fort naïvement. — Les piqûres des cousins, qui s’attachaient à mon visage et à mon cou, me causaient de vives souffrances, dit-il ; mais depuis la mort du malheureux Marasca, j’avais tellement peur qu’on ne prît mes gestes, s’ils étaient trop brusques, pour des mouvemens de colère et d’impatience, que je n’osais pas même lever la main pour chasser ces insectes.

Du reste, les bandits avaient pour leur prisonnier des consolations évangéliques. L’un d’eux, qui portait en sautoir le collier de la ma-