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pu arrêter bien du mal, l’avait engagée à ne point insister pour que le traité qu’on lui demandait d’appuyer de son concours moral lui fût immédiatement communiqué. En tardant à prendre connaissance de son contenu, elle laissait les puissances plus libres d’introduire dans le traité des modifications, ou même d’en provoquer l’abandon total.

En ajournant d’user de son droit pour exiger la communication du traité, la France ne pouvait prévoir qu’une clause en prescrivît l’exécution sans même attendre les ratifications respectives des cours contractantes.

De la part des puissances, cette seule clause tenue secrète suffisait pour donner à toute la transaction le caractère de violation du droit des gens, et son exécution devenait un acte de piraterie.

À la nouvelle des premières hostilités du capitaine Napier, la France voulut encore n’attribuer qu’à l’imprudence d’un subalterne ce procédé violateur en lui-même de toutes les règles du droit international. Aussi continua-t-elle ses démarches pour amener la pacification par des concessions du pacha conformes à ce qu’elle connaissait des intentions des puissances. En s’appliquant à obtenir ces concessions, le gouvernement français ne s’est pas flatté de résoudre ainsi la difficulté. Il n’a pas espéré que la Russie permît qu’un arrangement direct entre le pacha et le sultan vînt mettre à néant ce traité du 15 juillet, œuvre de tant d’habileté, de peines et de temps. Mais avant de proclamer les véritables et secrètes intentions des auteurs du traité de Londres, le gouvernement français a voulu rendre plus manifeste ce qui paraissait avoir échappé aux regards de ceux mêmes qui en avaient aveuglément accepté les conséquences.

Les concessions obtenues de Méhémet-Ali par la France dépassèrent tout ce que les puissances pouvaient raisonnablement attendre ; jamais on n’avait vu une métamorphose plus complète, ni plus spontanée dans la conduite d’un puissant vassal à l’égard de son souverain. Il était évident que le pacha lui-même avait compris que l’on avait calculé sur sa résistance pour compromettre et ruiner l’empire auquel se rattachent et sa foi religieuse et sa propre existence politique. Si les puissances avaient permis au sultan d’arranger cette querelle intérieure avec son pacha, selon la coutume suivie de tout temps dans l’empire ottoman, tout serait terminé aujourd’hui. Aucune autre solution ne saurait réaliser le but prétendu du traité de Londres, à savoir le rétablissement de l’empire ottoman et la mise à l’entière disposition du sultan, contre ses ennemis extérieurs, de toutes les forces du pacha d’Égypte.