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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

nations dans l’abîme qu’un ennemi commun a creusé pour elles ; c’est donner à la Russie l’appui de la nation anglaise.

Rompre à tout prix l’alliance anglo-française a été le but constant de la politique russe. Pour opérer cette rupture, la Russie a déployé toute son habileté, toutes ses ruses, et mis en jeu les mille passions qui agitent en sens divers les deux pays. Enfin, elle a réussi ; son jeu maintenant, c’est de faire durer cette rupture, d’aveugler les deux nations et de les passionner l’une contre l’autre. Le remède est donc dans ce qui peut démasquer cette politique. Le gouvernement français doit, avant tout, se pénétrer de cette nécessité ; tout ce qu’il fait en dehors de ce but a nécessairement pour effet de réaliser l’objet secret du traité.

Éclairer la nation anglaise, ce n’est point négocier avec son gouvernement. La France se met sur une base fausse dès l’instant où, au lieu de proclamer que le traité blesse la justice et le droit des nations, et porte atteinte à ses intérêts, elle négocie sur un détail d’exécution du traité. Cela dit, cela compris surtout, elle ne peut que refuser toute négociation sur cette base. Mais l’on s’écrie : « Prenez garde, vous allez blesser l’orgueil national de l’Angleterre, vous rallierez tous les partis autour du ministre dont la politique est encore blâmée aujourd’hui. » — Mais il est évident que le cours suivi jusqu’ici a précisément produit ce résultat. Il est donc urgent d’adopter une méthode nouvelle. La France n’a qu’un moyen d’éclairer la nation anglaise et d’éviter avec elle la guerre, qui autrement est inévitable. Ce moyen, c’est de la séparer hautement du ministre qui fait d’elle un instrument de la Russie, d’en appeler à la nation et à sa souveraine contre le ministre, d’exposer avec clarté le sens et la portée du traité (dont l’analogie est si frappante avec les traités qui ont précédé le partage de la Pologne), de prouver qu’elle veut sincèrement la paix, et que le traité seul produit la guerre par le but qu’il veut atteindre et par les moyens d’exécution qu’il sanctionne. Mais en exposant la position qui lui est faite par le traité, la France doit distinguer entre celles des puissances qui sont, malgré une séparation passagère, ses alliés naturels, et celle qui est un irréconciliable ennemi, entre la main qui dirige et l’instrument dont elle se sert. Ne point faire cette différence, c’est demeurer dans les ténèbres, c’est en quelque sorte créer soi-même le danger en se privant des moyens de salut. D’un bout de l’Europe à l’autre, les hommes de tout étage sentent que la paix n’est possible qu’autant qu’elle est protégée par l’immense puissance réunie de la France et