Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
REVUE DES DEUX MONDES.

évidemment rien de réel, rien de juste à opposer au traité, puisqu’elle s’est bornée à dire aux puissances que le système qu’elles avaient adopté n’était pas le sien et ne réussirait pas. N’ayant pas protesté contre le traité, elle ne peut, quand il est en pleine exécution, en repousser les conséquences. Aussi le gouvernement ne songe-t-il qu’aux moyens de préparer l’opinion en France à les accepter. »

Telle est à l’étranger l’opinion universelle. Il est juste d’en tenir compte, puisqu’en définitive ce qui décidera de la guerre ou de la paix, ce ne seront pas les intentions de la France, mais bien l’effet que sa conduite produira sur les gouvernemens et sur les nations étrangères.

Mais si la France pense que la conduite des cabinets est injuste, attentatoire aux droits des nations, à la souveraineté et à l’indépendance du sultan, à l’intérêt et au droit qu’elle a de faire respecter cette indépendance ; si la voie adoptée par les puissances, loin de mener au but qu’elles se proposent, tend, au contraire, à réaliser les catastrophes que le but avoué du traité est de prévenir ; si ce traité qui, dans l’Orient, prépare convulsions intérieures, ruine et partage, produit du même coup dans l’Occident hostilité entre les puissances dont l’alliance étroite pouvait seule contenir la Russie, alors la France doit proclamer ces convictions ; alors, sans préjuger quand elle voudra employer la force pour arrêter le mal, elle doit, avant tout, le dénoncer et protester, sous peine de s’en rendre complice par son silence.

Les armemens, seule mesure qu’on ait adoptée, n’ont rien indiqué sur les intentions réelles de la France. Or, ce qu’il importait avant tout, ce qui pouvait seul suspendre l’exécution des mesures convenues entre les puissances, c’était d’éclairer la question, de montrer des déterminations arrêtées, en ayant bien soin de les motiver sur le respect des droits de tous.

L’Angleterre, par-dessus toute autre nation, a besoin d’être éclairée. De deux choses l’une : ou la France, ainsi que l’a assuré lord Palmerston, laissera exécuter le traité, et en subira les conséquences, et dans ce cas ses armemens sont une vaine menace qui retombera sur elle-même ; ou bien si ses armemens sont le résultat d’une décision qui prévoit la possibilité d’une guerre, la France est alors tenue, en probité comme en vue de son propre intérêt, d’exposer au grand jour et sans perdre un instant ses intentions. Armer et se taire, c’est pousser la nation anglaise dans le sens russe ; c’est la rendre hostile, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui ; c’est plonger en aveugle les deux