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PERCIER.

n’avaient pu lui arracher l’instrument de ses travaux et de sa gloire ; il dessinait encore d’une main défaillante, et ses derniers dessins toujours aussi remarquables par la finesse et par la précision du trait, montraient plus que l’habileté de sa main ; ils témoignaient de la fermeté de son ame. On peut dire de M. Percier qu’il mourut la plume à la main, comme il avait vécu, et jamais, dans une carrière plus pleine, il n’y eut plus d’accord entre le commencement et la fin.

En terminant cette étude sur M. Percier, s’il m’était permis d’exprimer ma pensée tout entière, je dirais qu’entre tous nos contemporains c’est celui qui nous offre le modèle le plus accompli de la vie et du caractère de l’artiste. À quelque époque de sa carrière, dans quelque circonstance de sa vie qu’on l’envisage, c’est toujours de son art qu’on le trouve occupé, et toujours d’une manière qui tend à le perfectionner en s’honorant lui-même. Il avait cependant traversé des temps bien différens, où ne lui avaient jamais manqué ni les séductions du monde, ni les faveurs du pouvoir. Il avait vu la convention, où l’amitié de David pouvait servir à sa fortune. Plus tard, il assista à toutes les pompes de l’empire, où l’estime d’un grand homme eût pu tenter son ambition, en exaltant sa vanité. Sous la restauration, qui lui accorda aussi sa confiance, il eût pu devenir courtisan, sans cesser d’être architecte. De nos jours enfin, où tout le monde se croit propre à la politique, attendu qu’elle mène à tout, il n’eût tenu qu’à lui de faire de la politique en faisant de l’architecture. Mais, sous tous ces régimes, M. Percier ne fut et ne voulut être qu’un artiste. Jamais homme peut-être, avec des mœurs plus simples, des manières plus douces, une bienveillance plus universelle et plus sincère, ne montra tant de dignité dans sa conduite, tant de fermeté dans toute la suite de sa vie ; jamais homme ne fut à la fois plus modeste et plus indépendant, non pas de cette indépendance hautaine et bruyante qui s’affiche et qui se prône, qui cherche la popularité pour atteindre le pouvoir, et qui cache souvent autant de servitude qu’elle étale d’opposition, mais de cette indépendance paisible et solitaire qui se montre égale dans toutes les positions, qui se suffit à elle seule et qui se contente de jouir d’elle-même, de cette indépendance, enfin, que la richesse ne donne que rarement, qu’elle ôte souvent, et qui en tient toujours lieu. M. Percier, dans son obscur entresol du Louvre, où il se trouvait si près de la cour, et dont il ne sortit jamais pour aller à la cour, nous représente le véritable sage autant que l’artiste éminent, l’homme sans ostentation comme sans faiblesse, qui vit pour lui et non pour les autres, en ne travaillant