Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
REVUE DES DEUX MONDES.

des œuvres surannées à leur apparition et vieilles dans leur nouveauté, où manque l’unité, principe de la grandeur en toute chose, et la raison, source du plaisir en architecture.

Ces principes, qui dirigeaient M. Percier dans ses travaux, étaient aussi ceux qu’il propageait dans son école, et qui rendaient cette école la première de l’Europe. M. Percier y régnait véritablement par l’autorité de sa doctrine, jointe à celle de son exemple, et peu de maîtres, en aucun temps, ont joui d’une influence plus haute, plus étendue et plus durable. À cette époque, où la France comprenait une partie considérable de l’Europe, il était naturel que cette influence de M. Percier s’exerçât dans toute cette vaste sphère que remplissait la puissance de son pays. Mais quand la France perdit l’empire, M. Percier, réduit à lui seul, conserva son école, et par elle son autorité ; l’Europe resta, pour l’architecture tributaire, encore d’un Français. C’est le goût de M. Percier, c’est son esprit qui continua de dominer, là où notre force avait été vaincue par les élémens ou par les hommes, là où nos armes mêmes n’avaient pu pénétrer ; à Londres, à Saint-Pétersbourg, comme à Vienne, à Madrid, à Berlin, tout ce qu’il y a maintenant d’habiles architectes en Europe, est sorti de cet entresol du Louvre où M. Percier a vécu. Mais, pour apprécier l’empire que cet artiste exerçait dans son école, et qui peut se comparer à celui que David possédait dans son atelier, et Napoléon dans son camp, il faudrait pouvoir se représenter cet homme à la haute stature, à la démarche grave, au costume sévère, tel que l’ont connu deux générations d’artistes qu’il a formées. J’essaierai donc de peindre, au physique comme au moral, le grand architecte dans l’intimité duquel ont vécu tant d’artistes de notre âge, et que j’ai pu moi-même contempler d’assez près pour en tracer une image qui soit d’accord avec leurs souvenirs.

Doué d’une grande taille, sans avoir jamais été robuste, M. Percier avait, dans sa démarche et dans son maintien, quelque chose de la tenue militaire ; cette apparence venait aussi de son costume, qui était le même en toute saison, et qui ne varia jamais durant un demi-siècle. Son front arrondi et un peu saillant était large, mais d’un développement raisonnable ; on y voyait le calme de l’esprit, la profondeur de la pensée et l’étendue de la mémoire. Son œil, un peu renfoncé dans son orbite, avait un regard pénétrant et fin, sans dureté. Avec un nez bien fait, des traits généralement réguliers, sa lèvre inférieure, légèrement saillante, donnait à sa bouche, gracieuse, du reste, une inflexion de bouderie qui tenait surtout à l’attention qu’il