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PERCIER.

assemblée républicaine, et qui, à la place de ces formes surannées du dernier siècle, se hasardent à produire quelque chose du goût antique. Cet essai leur réussit ; un premier travail, payé d’un prix qu’on n’oserait pas citer aujourd’hui, mais que la rareté du numéraire rendait alors très avantageux, leur attira d’autres commandes du même genre. Dès ce moment, la plume et le crayon de M. Percier et de son ami ne furent plus employés qu’à dessiner des étoffes, qu’à esquisser des meubles ; ils travaillent pour les manufactures de tapis et de papiers peints ; ils produisent des compositions pour les décorations de théâtres ; ils font des modèles pour les bronzes, les cristaux, l’orfèvrerie ; et tandis qu’ils s’exercent ainsi de toute manière à introduire dans l’ameublement moderne les formes du mobilier antique, avec le sentiment et le goût qui leur sont propres, c’est à peine s’ils s’aperçoivent qu’avec leur fortune qui commence, c’est une révolution qui s’accomplit par eux dans les habitudes domestiques d’une société qui ne les connaît pas encore, même pour tapissiers, et qui plus tard les reconnaîtra pour de grands architectes dans l’arc-de-triomphe du Carrousel et dans l’achèvement du Louvre. Qui peut dire maintenant quelle a été, dans cette seule période de leur destinée, l’influence de ces deux architectes, alors pauvres et ignorés, qui, du sein de leur mansarde aérienne, renouvelaient toute l’industrie française, et rendaient l’étranger même tributaire de nos modes rajeunies et de nos goûts épurés ? Qui peut dire ce que le commerce de la France dut aux talens réunis de M. Percier et de M. Fontaine, à ne voir que le Recueil des Décorations intérieures, qu’ils ont publié ensemble, comme ils l’avaient composé en commun, où se trouvent, avec les meubles qu’ils firent exécuter à Paris, ceux qui leur furent demandés pour l’Espagne, pour la Prusse, pour la Pologne, pour la Russie ? Ainsi, des nations ennemies de la France recevaient, dans le domaine du goût, la loi de deux artistes français ; et la conciliation des peuples, cette œuvre toujours si difficile à la politique, et qui ne paraît pas être devenue beaucoup plus aisée de nos jours, malgré les progrès de la civilisation, cette œuvre pour laquelle on paie si chèrement tant de diplomates, s’opérait à bien peu de frais, du moins dans la sphère de l’industrie, par la main de deux pauvres architectes.

Au milieu de ces occupations si peu faites en apparence pour de pareils hommes, M. Percier et son ami ne négligeaient aucune occasion d’exercer l’art qui avait été l’objet de leurs études. Un membre de la section de Saint-Joseph, devenu possesseur de l’église de ce nom, convertie de nos jours en marché de comestibles, leur demande