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circonstances extérieures. Il arrive très rarement que l’artiste soit entièrement le maître de réaliser sa pensée. L’œuvre d’un architecte ne peut donc presque jamais être jugée du point de vue abstrait et absolu de l’esthétique pure, et un édifice réel ne saurait être considéré comme un plan. Sans cette précaution, on est exposé à voir des erreurs, des défauts ou des énigmes dans des choses parfaitement justes, convenables et explicables. L’architecte de l’école a particulièrement le droit d’invoquer en sa faveur cette règle de critique. Emprisonné de tous côtés dans le cercle des projets anciens, ou réduit à achever mécaniquement le travail commencé, il n’a pu, le plus souvent, que refondre, corriger, modifier et rarement innover, si ce n’est dans les détails.

Parmi les parties entièrement neuves, la plus importante, sous le rapport de l’art, est la façade principale du palais. On peut en rendre l’architecte responsable en toute sûreté de conscience ; mais cette responsabilité n’est pas lourde à porter. La critique, armée d’un Vignole, se flatte d’y trouver par-ci, par-là, quelques hérésies, soit ; mais cette concession aux inflexibles champions de l’orthographe ne doit pas nous empêcher d’admirer la riche et noble élégance de ce frontispice. L’ornementation a pu paraître recherchée, mais elle n’est probablement qu’inusitée. Dans ces choses accessoires et de simple goût dont aucun principe absolu ne règle l’invention et l’arrangement, il peut s’en rencontrer quelques-unes qui, sans blesser l’œil, l’étonnent. C’est ainsi qu’un mot nouveau ne peut faire son entrée dans le langage sans surprendre et même indisposer l’oreille par son air étranger ; une mode nouvelle choque par cela seul qu’elle est nouvelle. Un peu d’habitude rend ces nouveautés tolérables d’abord, puis bientôt aimables.

Le système de décoration et d’ornement paraît une réminiscence libre de l’architecture française de la fin du XVIe siècle. Ce retour à la tradition nationale, si complètement interrompue par l’adoption des formes gréco-romaines pures, a été salué par la jeune génération comme une protestation contre le système classique, qui, chassé de partout, semblait tenir bon en architecture. Il n’est pas du tout certain que l’architecte ait prétendu protester ; cependant, en fait, cette nouvelle manière a donné le ton au goût général depuis quelques années. Elle a réussi au point d’inspirer déjà quelques inquiétudes. La sculpture d’ornement dégénérera peut-être avant peu en manie. On brode maintenant une maison, comme une livrée de cour, sur toutes les coutures, et comme ces puérilités coûtent fort cher, elles deviennent