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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

que pour les attaquer sérieusement : la plupart en effet n’avaient ni poudre ni balles, les mieux approvisionnés n’avaient guère que deux charges. À peine ce détachement venait-il de partir, que deux cents paysans entrèrent dans la ville, poussant de tels cris de joie et de triomphe, que nous crûmes d’abord que les brigands venaient d’être joints et détruits par la garde civique ; il n’en était rien : ces hommes venaient seulement de réunir le bétail dispersé sur les collines du voisinage, et poussaient devant eux de grands troupeaux de bœufs, de vaches et de génisses, que toutes les femmes et les enfans de la ville accompagnaient. À la nuit, un lieutenant de l’armée papale, suivi de quelques soldats, arriva à Tivoli ; ces soldats venaient concourir à la défense de Poli. En entrant dans la bourgade, ils y causèrent une sensation extraordinaire ; les habitans étaient enchantés de leur arrivée, mais ils n’auraient voulu ni les loger ni les nourrir ; leurs brillans uniformes, leur pas mesuré, contrastaient avec les grossiers vêtemens et l’air rustique de nos amis, auxquels leur ton d’autorité ne plaisait guère ; enfin, peu à peu les lanternes disparurent, on ne pensa plus à l’attaque des bandits, et la nuit se passa fort tranquillement. »

Tandis que l’approche des brigands causait une si grande agitation dans la bourgade de Poli, l’épouvante n’était pas moindre à Tivoli et à Palestrine, de sorte que plusieurs villes et bourgades, distantes de Rome de quelques lieues seulement, étaient mises en état de siége en pleine paix par une poignée de misérables. La banlieue de Rome elle-même était menacée ; les habitans de ses faubourgs n’étaient pas sans crainte, et cependant le gouvernement romain pouvait disposer d’une armée de douze mille hommes. Ne se croirait-on pas reporté au temps de Piccolomini et de Marco Sciarra[1] ?

  1. Alexandre Piccolomini, duc de Montemarino, rassemblant tous les bandits de la Toscane et du patrimoine de Saint-Pierre, s’était formé une petite armée avec laquelle il dévasta la campagne romaine et tint en échec toutes les troupes pontificales. Plus tard, s’étant retiré en France avec un riche butin, il y servit huit ans avec distinction. Le grand-duc de Toscane Ferdinand, l’ayant fait arrêter comme il passait près de Pistoie, le fit pendre, le 16 mars 1591, malgré les vives réclamations du pape, Grégoire XIV, dont il avait désolé les états. — Marco Sciarra, son émule, chef plus redoutable encore, vit sa petite armée s’élever à plusieurs milliers d’hommes. Sixte-Quint parvint à l’éloigner de Rome sans cependant l’avoir dompté. Marco Sciarra passa, en 1592, au service de la république de Venise, qui l’envoya avec sa bande en Dalmatie faire la guerre aux Uscoques. Le pape Clément VIII insistant pour qu’on lui livrât le chef de bandits, le sénat de Venise le fit prudemment assassiner.