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ajouté une sorte de correctif à la commission de son subordonné, et cela de son consentement ; il promettait au coupable oubli du passé et sûreté, si dans tel délai il déposait un certain nombre d’habits, de manteaux et de chemises à une place qu’il indiquait. S’il refusait, toute la troupe épouserait la vengeance du berger, ses troupeaux seraient égorgés, et si on s’emparait de sa personne, il périrait dans les plus terribles supplices. Ces menaces consternèrent le riche Polésan ; mais, comme cet homme ne manquait pas d’énergie, il fit, dès le lendemain, demander au gouvernement romain si, dans le cas où il refuserait d’obéir à la sommation des brigands, il pouvait compter sur la protection spéciale de la police, et sur quelque indemnité pour la perte de ses troupeaux. La réponse du gouvernement fut telle qu’il se hâta de déposer les habits, les chemises et les manteaux à l’endroit désigné.

Le lendemain 10 août, de grand matin, le maréchal du district était arrivé à Poli, et convoquait la garde civique. Laissons parler ici le voyageur auquel nous empruntons une partie de ces détails[1] ; le tableau qu’il présente a été fait d’après nature ; nous craindrions, en y ajoutant quelque chose, d’en altérer la franchise et la naïveté.

« Le maréchal ayant convoqué la garde civique, nous fûmes témoins de nos fenêtres d’un spectacle des plus singuliers ; le maréchal, portant pour toute arme un grand pistolet d’arçon à la ceinture, parcourait la rue dans tous les sens, se consultant avec les notables du pays, car on s’attendait à quelque tentative des brigands sur Poli pour la nuit même. À la suite d’une délibération tumultueuse, on se décida à rassembler une quinzaine de jeunes gens qu’on arma de canardières et de fusils de munition en mauvais état. C’était là ce qu’on appelait la garde civique ; les armes étaient la propriété du gouvernement, qui les distribuait dans les grandes occasions.

« Sur les dix heures, on conduisit cette petite troupe au-delà de la porte principale, sur une plate-forme où les enfans allaient jouer d’ordinaire. Là, ces volontaires essayèrent la poudre et tirèrent à la cible sous les yeux des brigands, qui occupaient les hauteurs voisines ; puis, leur nombre s’étant accru de quelques nouveaux venus, ils se mirent en campagne plutôt pour effrayer les brigands et les débusquer

  1. Tree Months passed in the mountains near Rome during the year 1819, by Mrs Graham. — Cet ouvrage, écrit par une femme d’un esprit distingué, est l’un des meilleurs qui aient paru sur l’Italie ; il contient de curieux renseignemens sur l’agriculture et la vie nomade des brigands et des bergers.