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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

s’écrie-t-il. Ainsi Horace regrette Tibur à Rome et Rome à Tibur ; ainsi Martial, à peine retourné dans sa Bilbilis, qui faisait depuis des années l’objet de ses vœux, s’en dégoûte et redemande les Esquilies. Quand Tibulle a décrit si amoureusement la vie champêtre, il était à la guerre près de Messala.

Pour Du Bellay, quelques consolations se mêlèrent sans doute aux nouvelles amertumes, et tous ses espoirs ne furent pas trompés. Ses amis célébrèrent avec transport son retour ; Dorat fit une pièce latine ; ce fut une fête cordiale des muses chez Ronsard, Baïf et Belleau. Au bout d’un ou de deux ans, et sa santé n’y suffisant plus, Du Bellay se déchargea de la gestion des affaires du cardinal ; il sortit pauvre et pur de ce long et considérable service. Il revint à la Muse, et fit ses Jeux rustiques ; il mit ordre à ses vers de Rome et les compléta ; il publia ses poésies latines (Épigrammes, Amours, Élégies) en 1558, et l’année suivante ses sonnets des Regrets. Mais une calomnie à ce propos vint l’affliger : on le desservit près du cardinal à Rome. Ses vers étaient le prétexte ; mais Du Bellay ne s’en explique pas davantage, et cette accusation est demeurée obscure comme celle qui pesa sur Ovide[1]. Que put-on dire ? La licence de quelques pièces à Faustine lui fut-elle reprochée ? Supposa-t-on malignement que quelques sonnets des Regrets, qui couraient avant la publication, atteignaient le cardinal lui-même ? Dans ce cas Du Bellay, en les publiant, détruisait l’objection. Toujours est-il qu’il devenait criant qu’un homme de ce mérite et de ce parentage demeurât aussi maltraité de la fortune. Le chancelier François Olivier, Michel de L’Hôpital, tous ses amis s’en plaignaient hautement pour lui. On assure que, lorsqu’il mourut, il était rentré dans les bonnes graces du cardinal, qui allait se démettre en sa faveur de l’archevêché de Bordeaux. Et certes, qui avait fait de Rabelais un curé de Meudon pouvait bien, sans scrupule, faire Du Bellay archevêque. Quelques sonnets de celui-ci à Madame Marguerite, quelques autres de l’Honnête Amour qui sentent leur fin, des stances étrangement douloureuses et poignantes intitulées la Complainte du Désespéré, semblent dénoter vraiment qu’il s’occupait à corriger les impressions trop vives de ses premières ar-

  1. Dans l’élégie à Morel on lit ;

    Iratum insonti nostræ fecere Camenæ,
    Iratum malim qui vel habere Jovem.
    Hei mihi Peligni crudelia fata poetæ
    Hic etiam fatis sunt renovata meis…