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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Bellay, en imitant ainsi, crée dans le détail et dans la diction, tout-à-fait comme La Fontaine[1].

Que si maintenant on joint à ces deux pièces exquises de Du Bellay son admirable sonnet du petit Liré, on aura, à côté des pages de l’Illustration et comme autour d’elles, une simple couronne poétique tressée de trois fleurs, mais de ces fleurs qui suffisent, tant que vit une littérature, à sauver et à honorer un nom. Le sonnet du petit Liré est également imité du latin, mais du latin de Du Bellay lui-même, et le poète a fait ici pour lui comme pour les autres, il s’est embelli en se traduisant. Dans son élégie intitulée Patriœ desiderium, il s’était écrié, par allusion à Ulysse :

Felix qui mores multorum vidit et urbes,
Sedibus et potuit consenuisse suis
 ;

et il continuait sur ce ton. Mais voici, sous sa plume redevenue française, ce que cette pensée, d’abord un peu générale, et qui gardait, malgré tout, quelque chose d’un écho et d’un centon des anciens, a produit de tout-à-fait indigène et de natal :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cettui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parens le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le toit de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage !

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux ;
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine ;

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine[2].

  1. Il était si plein de son Naugerius, qu’il s’est encore souvenu de lui dans un passage de ses stances à M. d’Avanson, en tête des Regrets :

    Quelqu’un dira : De quoi servent ces plaintes ?…

    C’est inspiré d’un fragment délicieux de Philémon sur les larmes que Naugerius avait traduit, et Du Bellay sans doute l’avait pris là.

  2. Liré, redisons-le avec plus de détail, est un petit bourg au bord de la Loire, au-dessous de Saint-Florent-le-Vieux ; il fait partie de l’arrondissement de Beau-