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les lire d’une manière continue. À partir du XXXIIe, il est vrai, ils languissent beaucoup ; mais ils se relèvent, vers la fin, par de piquans portraits de la vie romaine. Le style en est pur et coulant ;

Toujours le style te démange,

a-t-il dit très spirituellement du poète-écrivain, dans une boutade plaisante imitée de Buchanan ; ici, dans les Regrets, évidemment le style le démange moins ; sa plume va au sentiment, au naturel, même au risque d’un peu de prose. Dans un des sonnets à Ronsard, il lui dit d’un air d’abandon :

........Je suivrai, si je puis,
Les plus humbles chansons de ta muse lassée.

Bien lui en a pris ; cette lyre un peu détendue n’a jamais mieux sonné ; les habitudes de l’art s’y retrouvent d’ailleurs à propos, au milieu des lenteurs et des négligences. Ainsi quelle plus poétique conclusion que celle qui couronne le sonnet XVI, dans lequel il nous représente à Rome trois poètes, trois amis tristes et exilés, lui-même, Magny attaché à M. d’Avanson, et Panjas qui suit quelque cardinal français (celui de Châtillon ou de Lorraine) ? Heureux, dit-il à Ronsard, tu courtises là-bas notre Henri, et ta docte chanson, en le célébrant, t’honore :

Las ! et nous cependant nous consumons notre âge
Sur le bord inconnu d’un étrange rivage,
Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter :

Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle,
Arrangés flanc à flanc parmi l’herbe nouvelle,
Bien loin sur un étang trois cygnes lamenter.

Quand Du Bellay fit ce sonnet-là, il avait respiré cet air subtil dont il parle en un endroit, et que la Gaule n’aurait pu lui donner, cette divine flamme attique et romaine tout ensemble.

Je suivrais plus longuement Du Bellay à Rome, si, en quelques pages d’un érudit et ingénieux travail[1], M. Ampère ne m’en avait dispensé. Je ne me permettrai d’ajouter qu’une seule remarque aux siennes, et qui rentre tout-à-fait dans ses vues ; c’est que Du Bellay, tout en maudissant Rome et en ayant l’air de l’avoir prise en grippe, s’y attachait, s’y enracinait insensiblement, selon l’habitude de ceux

  1. Portraits de Rome à différens âges, Revue des Deux Mondes de juin 1835.