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délires poétiques qui terminent l’annoncent assez ; il la célèbre plus volontiers dans cette lune heureuse sous le nom expressif de Columba :

Sus, ma petite Colombelle,
Ma petite belle rebelle,

ainsi qu’il l’a traduit en vers français depuis. On s’étonne de voir, au milieu de tels transports, qu’il ne semble pas avoir encore obtenu d’elle le dernier don, mais seulement, dit-il, summis bona proxima. Est-ce bien elle-même, en effet, qu’il alla voir une nuit chez elle en rendez-vous, et qui demeurait tout près de l’église Saint-Louis[1] ? Il dut quitter Rome peu après, et peut-être aussi cette aventure contribua-t-elle au départ.

Mais, avant de faire partir Du Bellay de Rome, nous avons à le suivre dans toute sa poésie mélancolique des Regrets. Et voici comment je me figure la succession des poésies et des pensées de Du Bellay durant son séjour de Rome. Arrivé dans le premier enthousiasme, il tint bon quelque temps ; il paya sa bien-venue à la ville éternelle par des chants graves, par des vers latins (Romœ Descriptio) ; il admira et tenta de célébrer les antiques ruines, les colysées superbes,

Les théâtres en rond ouverts de tous côtés ;

il évoqua dans ce premier livre d’Antiquités le génie héroïque des lieux et lui dut quelques vrais accens :

Pâles Esprits, et vous, Ombres poudreuses !…

Puis le tous les jours des affaires, les soins positifs de sa charge, le spectacle diminuant des intrigues, le gagnèrent bientôt et le plongèrent dans le dégoût. Quelqu’un a dit que la rêverie des poètes, c’est proprement l’ennui enchanté ; mais Du Bellay à Rome eut surtout l’ennui tracassé, ce qui est tout différent[2]. Il regretta donc sa Loire,

  1. Nox erat, et pactæ properabam ad tecta puellæ,
    Junguntur fano quæ, Lodoice, tuo
    .

    L’église dite Saint-Louis-des-Français est d’une date postérieure. Quelle était cette église Saint-Louis de 1555 ? Je laisse ce point de topographie à M. Nibby et aux antiquaires.

  2. Un élégiaque moderne, imitateur de Du Bellay dans le sonnet, a curieusement marqué la différence de ces deux ennuis, mais dans un temps où il avait lui-même une Faustine pour se consoler :

    Moi qui rêvais la vie en une verte enceinte,
    Des loisirs de pasteur, et sous les bois sacrés