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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

que le mari, vieux et jaloux (comme ils sont toujours dans les élégies), et qui d’abord apparemment était absent, la retira de chez sa mère où elle vivait libre, pour la loger dans un cloître. Le belliqueux Paul IV venait de monter sur le siége pontifical ; il passait des revues du haut de ses balcons ; il appelait les soldats français à son secours pour marcher contre les Espagnols de Naples et prendre leur revanche des vieilles vêpres siciliennes. Mais Du Bellay, lui, soldat de Vénus, ne pense alors qu’à une autre conquête et à d’autres représailles ; il veut délivrer sa maîtresse captive sous la grille ; c’est là pour lui sa Naples et sa sirène :

Haec repetenda mihi tellus est vindice dextra,
Hoc bellum, hæc virtus, hæc mea Parthenope
.

Il est curieux de voir comme le secrétaire du doyen du sacré collége, le prochain chanoine de Paris[1], celui qui, quatre ans plus tard, mourra désigné à l’archevêché de Bordeaux, parle ouvertement du cloître, des Vestales, où on a logé sa bien-aimée. Toutes les vestales brûlent, dit-il ; c’est un reste de l’ancien feu perpétuel de Vesta : puisse sa Faustine y redoubler d’étincelles ! En pur païen anacréontique, il désire être renfermé avec elle ; de jour il serait comme Jupiter qui se métamorphosa une fois en chaste Diane ; nulle vestale ne paraîtrait plus voilée et plus sévère, n’offrirait plus religieusement aux dieux les sacrifices et ne chanterait d’un cœur mieux pénétré les prières qui se répondent. Mais de nuit, oh ! de nuit, il redeviendrait Jupiter :

Sic gratis vicibus, Vestæ Venerisque sacerdos,
Nocte parum castus luce pudica forem
.

Notez que ces poésies latines furent publiées à Paris deux ou trois ans après, en 1558, par Du Bellay lui-même, sans doute alors engagé dans les ordres. Elles sont dédiées à Madame Marguerite, et portent en tête un extrait de lettre du chancelier Olivier qui recommande l’auteur à la France. Étienne Pasquier, en une de ses épigrammes latines[2], ne craignait pas de rapprocher sa maîtresse poétique Sabine de cette Faustine romaine qui était si peu une Iris en l’air.

Il paraît bien, au reste, sans que Du Bellay explique comment, que sa Faustine en personne sortit du cloître et lui fut rendue ; les

  1. Il le fut dès cette année même de ses amours (1555), par la faveur d’un autre de ses parens du même nom, Eustache Du Bellay, alors évêque de Paris.
  2. La 47e du liv. VI.