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forme qu’il a saisi et fixé ses propres sentimens. Ainsi à leur tour l’ont tenté avec plus ou moins de bonheur Du Bellay, Ronsard, et ensuite André Chénier. Ce n’est pas la méthode qu’il faut inculper ; il n’y a en cause que l’exécution et le degré de réussite de l’œuvre.

Quelques mots encore de cette préface de l’Olive sont à relever en ce qu’ils dénotent chez Du Bellay une dignité peu commune aux gens de lettres et aux poètes de son temps et de tous les temps. Aux moqueurs et mauvais plaisans qui espéraient engager la partie avec lui, il répond qu’ils doivent chercher autre badin pour jouer ce rolle avecq’eux ; il se garde bien de leur prêter collet. Quant à ceux qui le détournent charitablement de la poésie comme futile, il les remercie, et d’un ton de gentilhomme qui ne sent en rien son rimeur entiché, je vous assure. Il ne s’exagère pas son rôle de poète ; il aime la muse par passe-temps, pour elle seule et pour les fruits secrets qu’elle lui procure ; sa petite muse, comme il dit, n’est aux gages de personne : elle est serve tant seulement de mon plaisir. Il fait donc des vers parce qu’il a la veine, et que cela lui plaît et le console ; mais il sait mettre chaque chose à sa place ; dans son élégie latine à Jean de Morel il le redira : la médecine, l’art de gouverner les hommes, la guerre, il sait au besoin céder le pas à ces grands emplois ; si la fortune les ouvrait devant lui, il y réussirait peut-être ; il est poète faute de mieux ; il est vrai que ce pis-aller le charme, et que, si l’on vient impertinemment l’y relancer, il ne se laissera pas faire. À messieurs les courtisans qui disent que les poètes sont fous, il avoue de bonne grace que c’est vérité :

Nous sommes fous en vers, et vous l’êtes en prose :
C’est le seul différent qu’est entre vous et nous[1].

Les cent quinze sonnets qui composent l’Olive laissent beaucoup à désirer tout en épuisant à satiété les mêmes images. Olive est une beauté que Du Bellay célèbre comme Pétrarque célébra Laure ; après le laurier d’Apollon, c’est le tour de l’olivier de Pallas :

Phoebus amat laurum, glaucam sua Pallas olivam :
Ille suum vatem, nec minus ista suum
,

lui disait Dorat. Ce jeu de mot sur l’olive et l’olivier se reproduit perpétuellement dans cette suite de sonnets ; à côté de Pallas, l’arche même et Noé ne sont oubliés :

  1. Regrets, sonnet CXLI.