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après, en 1555[1]. Sa carrière littéraire fut comme coupée en deux par ce voyage et par cette longue absence ; sa santé s’y usa ; mais nous verrons peut-être, malgré les plaintes qu’il exhale, et dans la douceur de ces plaintes même, que son talent et son esprit y gagnèrent.

Le premier recueil, de 1549, se ressent de la rudesse du premier effort, et me semble, en quelque sorte, encore tout récent de l’enclume. Jean Proust Angevin crut devoir y joindre une explication des passages poétiques les plus difficiles, et ce n’était pas superflu. La première pièce y a pour titre : Prosphonématique au roi très chrétien Henri II. Du Bellay, d’ailleurs, s’est sagement gardé du pindarique à proprement parler, et, malgré le patron dérobé à son ami, la forme lyrique qu’il affecte n’est que l’horatienne. Dans un Chant triomphal sur le voyage du roi à Boulogne en août 1549, il trouvait moyen d’introduire et de préconiser le nom de Ronsard ; preuve qu’il ne voulait en rien le déprimer. Une ode flatteuse au vieux poète Mellin de Saint-Celais témoignait d’avance de la modération de Du Bellay et tendait à fléchir le chef de l’ancienne école en faveur des survenans. Je ne remarque dans ce premier recueil que deux odes véritablement belles. L’une à Madame Marguerite sur ce qu’il faut écrire en sa langue exprime déjà les idées que Du Bellay reprendra et développera dans son Illustration ; il y dénombre les quatre grands poètes anciens, Homère et Pindare, Virgile et Horace, et désespère d’imiter les vieux en leur langue :

Princesse, je ne veux point suivre
D’une telle mer les dangers,
Aimant mieux entre les miens vivre
Que mourir chez les étrangers.

Mieux vaut que les siens on précède,
Le nom d’Achille poursuivant,
Que d’être ailleurs un Diomède,
Voire un Thersite bien souvent.

Quel siècle éteindra ta mémoire,
Ô Boccace ? et quels durs hivers
Pourront jamais sécher la gloire,
Pétrarque, de tes lauriers verts ?…

  1. Les biographes de Du Bellay ont en général fait son séjour en Italie un peu plus court qu’il ne le fut réellement : on lit dans le CLXVIe sonnet de ses Regrets que son absence, son enfer, a duré quatre ans et davantage.