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beaucoup trop abrégées. Puis aussi, le dirai-je ? les loisirs, pour moi tout nouveaux, d’une docte bibliothèque où une bienveillance honorable m’a placé, viennent en aide à ce retour, et me remettent en goût aisément de l’érudition du XVIe siècle. Ces poètes italiens latins que Gabriel Naudé a rapportés de son voyage d’Italie, et que Du Bellay a si bien connus et imités, sont sous ma main : c’est un attrait de plus dans ce sujet, plus neuf encore que vieilli, où ils vont me servir.

Il est bon, je le crois, de revenir ainsi à une certaine distance sur les premiers ouvrages qui nous occupèrent, et de revoir les mêmes objets sous deux inclinaisons de soleil. On ne l’a plus dans les yeux, ce soleil, comme au brillant matin ; on l’a derrière soi, et il éclaire plus lucidement l’après-midi de nos pensées. Mon opinion au fond, sur nos vieux poètes, ne sera guère différente de celle d’autrefois ; mais je l’exprimerai un peu différemment peut-être. Le premier coup d’œil que la jeunesse lance en entrant sur les choses est décisif d’ordinaire, et le peu d’originalité qu’on est destiné à avoir dans sa vie intellectuelle s’y trouve d’emblée tout empreint. Mais ce coup d’œil rapide a aussi du tranchant. En se jetant d’un bond sur ses armes, comme Achille, on s’y blesse quelquefois. Il y a à revenir ensuite sur les limites et la saillie exagérée des aperçus. Ainsi, dans ce sujet du XVIe siècle, si j’ai paru sonner d’abord de la trompette héroïque, je n’aurai pas maintenant de peine à passer au ton plus rappaisé du sermo pedestris. J’ai traité Ronsard plus au grave, je prendrai plus familièrement le doux-coulant Du Bellay.

Cela nous sera d’autant plus facile avec lui, que son genre de talent et son caractère y prêtent. Son rôle, qui le fait venir le premier après Ronsard, fut beaucoup moins tendu et moins ambitieux. Au second rang dans une entreprise hasardée, il se trouva par là même moins compromis dans la déroute. Le Mélanchton, le Nicole, le Gerbet, dans cet essai de réforme et cette controverse poétique de la pléiade, ce fut Joachim Du Bellay.

Le bon Guillaume Colletet, dans sa vie manuscrite[1] de Du Bellay, a très bien senti cette situation particulière du poète angevin, qui lui faisait trouver grace auprès d’une postérité déjà sévère. Il le compare en commençant à Janus, dont un visage regardait le siècle passé et l’autre le siècle à venir, « c’est-à-dire, ajoute-t-il, qu’après avoir fait l’un des plus grands ornemens de son siècle, il fait encore

  1. Bibliothèque du Louvre.