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REVUE. — CHRONIQUE.

grimacent de leur mieux, l’ange Michel apparaît dans la lumière, et montrant les cieux de son épée, ouvre à la diablesse Urielle les chemins de la gloire. Un diable qui va au ciel ! l’idée est curieuse et vaut bien qu’on en parle même aujourd’hui ; l’assomption fera époque. Ce que j’admire surtout, c’est le rôle de l’ange Michel dans cette comédie. Le pauvre séraphin ! comme ses fonctions ont varié depuis la Genèse ! Autrefois il expulsait les démons du paradis, maintenant il les y introduit. Les temps changent ; hélas ! l’Opéra le sait mieux que personne.

La musique du Diable amoureux est de deux musiciens peu connus du public, et qui, bien qu’à des titres divers, méritent d’attirer l’attention des hommes spéciaux. M. Benoît a écrit le premier et le troisième acte, et M. Reber le second. M. Benoît, organiste distingué, sort du Conservatoire, dirige les chœurs de l’Opéra, et, pour confectionner une fugue, on peut s’en fier à lui. Quant à M. Reber, c’est un jeune homme plein de courage et d’énergie, amoureux de son art, et qui depuis long-temps se prépare à la lutte par des études sérieuses. Une symphonie et quelques chœurs détachés, exécutés dans un ou deux concerts, et l’acte de ballet qu’il vient de produire, telles sont à peu près toutes les compositions de M. Reber que le public ait été jusqu’ici à même d’apprécier. Les amis de M. Reber, et il en a beaucoup, prônent déjà son talent avec enthousiasme ; on parle même de génie. Nous attendrons, avant de le proclamer maître, que les chefs-d’œuvre sortent de son portefeuille. On prétend que M. Reber a des idées ; pourvu que ce ne soient pas des idées esthétiques. D’ailleurs, par le temps qui court, il faut se défier des amis ; on sait ce qu’ils valent, surtout en fait d’art. Que signifient les amis en musique ? M. Berlioz a des amis, et Rossini n’en a pas. M. Benoît et M. Reber ont pris leur tâche au sérieux, trop au sérieux sans doute. Dans leur zèle de néophytes, ils ont saisi par les cheveux cette occasion d’écrire des ouvertures et des symphonies pour l’orchestre et pour la salle de l’Opéra, et ne se sont pas fait faute d’une double croche. De là une musique fort proprement travaillée, quelquefois élégante, mais souvent diffuse et monotone. Ils ont traité l’affaire comme s’il se fût agi d’une partition en cinq actes d’où leur renommée dépendait, oubliant qu’en pareille circonstance un arrangement ingénieux est tout ce qu’on demande, et que le public vous tient plus compte du motif d’un autre habilement présenté que de toutes les prétendues richesses de votre propre fonds. Une idée de Rossini, d’Auber, ou d’Hérold, qui sillonne l’orchestre par momens, rafraîchit l’oreille en même temps qu’elle anime la scène. Quand je vais voir un ballet, ce n’est point apparemment pour m’enfouir dans l’orchestre ; je veux suivre les pas des danseuses, et non le travail des violoncelles ou des clarinettes. Jamais vous n’obtiendrez d’un musicien nouveau qu’il se modère, et consente, en face d’un orchestre prêt à gronder à son premier signal, à refouler son inspiration qui déborde ; ce serait là le supplice de Tantale, et vous n’oseriez pas l’y condamner. Un musicien d’avenir, et tous les musiciens, jeunes ou vieux, qui n’ont rien produit encore, en sont là ; un musicien d’avenir est trop au-dessus d’une pareille tâche pour ne pas être au-dessous. Vous aurez beau dire, il écrira sa grande partition, sa partition en cinq actes, il la fera bon gré mal gré. Il en résulte que vous avez un ballet sur le théâtre, et dans l’orchestre un opéra auquel rien ne manque, ni l’ouverture, ni les morceaux d’ensemble, ni les chœurs ; l’ophy-