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LITTÉRATURE DU NORD.

Littérature en Danemark et en Suède[1] a pris naissance dans cette Revue, et elle y touche de trop près pour qu’il soit convenable d’insister. On me permettra seulement quelques courtes observations critiques ; elles seront mieux placées ici que des banalités louangeuses.

Avant de constater les deux reproches principaux que j’ai à adresser à M. Marmier, je tiens à rendre justice à son infatigable persévérance, au zèle tout-à-fait dévoué qu’il n’a cessé de montrer. On peut dire que depuis cinq ans M. Marmier vit plutôt dans le Nord qu’avec nous. Les plus pénibles voyages, les plus lointaines excursions, rien ne l’a arrêté. Il s’est acquitté de sa tâche avec courage, avec amour ; il s’y est donné tout entier. À cette heure même, observant curieusement la Hollande, il complète ses précédentes études, et amasse pour nous de nouvelles richesses. C’est sans doute dans quelque vieille cité batave que ces pages, avec nos vœux, l’iront trouver.

M. Marmier a trop d’esprit pour ne pas prendre en bonne part les deux griefs que je lui soumets. Le premier, le plus grave, c’est d’avoir souvent substitué l’esprit poétique à l’esprit critique. Sans doute, il eût été du plus mauvais goût de ne visiter le Nord que pour le juger avec aigreur, que pour en rapporter des caricatures ; sans doute le fond même de la critique doit se composer de bienveillance, d’admiration ; dès qu’elle a un parti pris, dès que l’animosité perce, dès que l’aménité manque, elle n’est plus littéraire, et la poésie lui échappe. Mais M. Marmier ne s’est pas assez dégagé des douces illusions. La critique a cela de commun avec la poésie qu’il lui faut vivre le plus souvent de désenchantemens ; elle a cela de distinct que ses désenchantemens sont souvent produits par les poètes. M. Marmier a donc traité quelquefois avec une indulgence trop marquée les écrivains du Nord ; il s’est assis à leur foyer, il s’est fait de la famille. Qu’en est-il résulté ? C’est que son talent, naturellement poétique, naturellement tourné à la rêverie, a reflété la couleur qui l’entourait, s’est empreint de formes et d’images septentrionales.

Mon premier grief allait à la méthode de M. Marmier ; le second s’adresse à la forme qu’il a choisie, et surtout qu’il a gardée dans son livre. J’aurais désiré qu’en réimprimant ces morceaux, écrits souvent sur les lieux mêmes, à la hâte, sous l’impression directe et vive des hommes et des sites, M. Marmier les eût retouchés, les eût appuyés de textes et d’indications plus positives. C’est là un des devoirs de l’historien littéraire. Sans doute l’auteur n’a pas voulu faire une œuvre d’érudit. Il eût paru bizarre, pour juger des poètes, de s’entourer de tout un appareil scientifique, de toucher avec un gant de fer ces ailes bigarrées de papillon. Mais, sans s’égrener en innombrables notes, sans se perdre dans un fatras de citations, pourquoi n’avoir pas complété, affermi, rectifié ces intéressantes esquisses ? Pourquoi ne les avoir pas étayées de recherches nouvelles et approfondies ? À certains endroits, M. Marmier s’est tenu aux surfaces : Summa sequar fastigia rerum. C’est toujours cette tendance poétique, qui a sa séduction, que j’ai à peine le courage

  1. Un vol. in-8o, rue des Beaux-Arts, 10.