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LITTÉRATURE DU NORD.

été publié en France sur ce difficile et intéressant sujet. Comme je l’insinuais tout à l’heure, la critique qu’on en pourrait faire irait droit au vice de la science de notre temps ou de ce qui y vise ; elle l’atteindrait par ses deux côtés les plus attaquables, le vague hasardé des considérations générales d’une part, et de l’autre l’enfantillage méticuleux de la petite érudition. Ce que l’on s’est permis de dire plus haut du livre laborieux et inégal de M. du Méril, va naturellement rejoindre, dans leur vanité diverse et irritable, tous les généralisateurs nuageux, comme tous les collecteurs de notes insignifiantes et d’atômes scientifiques.

Avant M. du Méril dans l’ordre chronologique, après M. du Méril dans l’ordre logique, vient M. Bergmann. Sous le titre de Poèmes islandais[1] se trouvent interprétés, annotés, commentés, des fragmens qui peuvent servir de pièces justificatives à l’Histoire de la poésie scandinave. Ces morceaux sont au nombre de trois, et portent le nom de Voluspa, de Wafthrudnismal et de Lokasenna. Ils sont littéralement traduits de l’Edda de Sæmund et soigneusement reproduits avec le texte en regard. M. Bergmann y a ajouté des introductions, des notes, un glossaire, tout un travail enfin de philologue et de commentateur. On dirait des excursus, comme on en fait en Allemagne sur les classiques. C’est assurément beaucoup d’honneur pour ces morceaux isolés de l’Edda, que d’être ainsi traités avec ce soin religieux, avec ce scrupule singulier.

M. du Méril, ayant occasion de citer l’ouvrage de M. Bergmann, en loue « l’érudition remarquable. » C’est une galanterie un peu exagérée, mais de bon goût entre confrères. Le travail de M. Bergmann n’a rien, en effet, de précisément remarquable ; il est sage et judicieux ; il montre une intelligence réservée, prudente et visant seulement aux finesses philologiques, aux raffinemens de ponctuation et d’accentuation. Ce sont là des prétentions fort humbles. M. Bergmann a donc sur M. du Méril un grand avantage ; il n’a pas rêvé une course icarienne, et se tenant terre à terre, il n’a pu tomber. Les limites qu’il s’était posées sont atteintes ; il est ce qu’il a voulu être. Assurément son recueil ne révèle pas des qualités d’esprit extraordinaires, l’élévation ou l’étendue ; mais il est estimable, il renferme des notions utiles, il fait honneur à la patience et au discernement de l’auteur.

L’ouvrage a trois parties bien distinctes. Dans la première, M. Bergmann traite, avec beaucoup de lucidité, de l’origine des idiomes scandinaves et des Eddas ; puis il passe à un examen grammatical tout-à-fait minutieux et particulier de la langue islandaise. Le défaut de ces préliminaires est de soulever et de trancher à la hâte, comme en courant et presque d’un seul mot, plusieurs problèmes intéressans et ardus sur l’histoire de la mythologie septentrionale. Sans doute les monumens font défaut pour résoudre, avec la plénitude de l’évidence et d’une manière complètement satisfaisante, toutes ces

  1. Un vol. in-8o ; Imprimerie royale. Chez Brockhaus et Avenarius.