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En traitant des poèmes scandinaves, des imitations qui en ont été faites, de l’influence qu’ils ont exercée, M. du Méril donne çà et là plusieurs fragmens, et entremêle ses chapitres de traductions utiles, curieuses et habilement faites. Il donne même à ce propos toute une théorie de l’art de traduire. La meilleure est assurément un sens délicat et un goût sûr. Ces généralités pourtant, que distinguent des vues heureuses et d’habiles rapprochemens sur les langues, sur la mystérieuse combinaison des idiomes, font honneur au talent de M. du Méril. Je relèverai seulement une sortie contre notre admirable langue française, qui, au dire de l’auteur, est « ingrate et rebelle à la poésie. » C’est sans doute dans quelqu’un des livres allemands auxquels il a si souvent emprunté que M. du Méril a lu et copié cette vieille et injuste banalité. Au surplus, le français n’encourt pas seul cette terrible malédiction ; la poésie de l’Orient et même la poésie du Midi paraissent puériles à l’auteur. J’avoue cependant, pour ma part, que j’ai l’audace de mettre la Divine Comédie bien au-dessus des chants de l’Edda.

Et d’ailleurs M. du Méril n’a pas trop à se plaindre. Notre langue, dans ses intelligentes traductions, semble reproduire assez exactement le sentiment poétique des œuvres scandinaves. La pratique ici ne dément pas la théorie. Peut-être seulement pourra-t-on trouver qu’il eût été de meilleur goût de placer ailleurs ce code de l’art de traduire. On dirait un général qui refait Végèce ou Montécuculli en tête du récit de ses campagnes ou de ses victoires, si l’on aime mieux. Cela n’est pas précisément modeste.

Le livre de M. du Méril est très substantiel, très nourri, plein de recherches utiles et intéressantes. Ce ne sont là pourtant que des prolégomènes à un travail plus spécial, qui est annoncé. L’auteur changera-t-il de méthode, s’amendera-t-il de ses écarts ? Il est à craindre que non ; car M. du Méril a précisément les deux défauts qui sont comme aux deux pôles de la science. Il est vague, risqué, déclamateur, dans l’ensemble, dans les vues générales ; puéril, au contraire, minutieux, abondant jusqu’à la satiété dans le détail. Ces deux tendances blâmables sont d’ordinaire isolées ; M. du Méril, par une singularité exceptionnelle, les réunit et les exagère. L’une corrigera-t-elle l’autre ? Le niveau s’établira-t-il dans ce talent par ce double contre-poids ? Un souffle sain, contenu, généreux, succédera-t-il à ce tourbillon mêlé de poussière ? Je ne sais. Au fond, cela serait désirable, très désirable pour la science comme pour l’art. M. du Méril est érudit, et il a en même temps un véritable sentiment poétique ; mais ces deux qualités rares, au lieu de se réunir, de s’agréger pour être fortes, courent chacune au hasard et se dispersent. Bossuet, par une de ces expressions de génie qui n’appartiennent qu’à lui seul, parle, à un endroit, des natures qui ne sont pas éclaircies. M. du Méril y devrait songer ; il devrait songer au mot de Vauvenargues, que la clarté est le vernis des maîtres.

Il serait facile de continuer long-temps ces remarques. On me pardonnera d’avoir insisté. L’Histoire de la poésie scandinave est sans contredit le travail le plus considérable, le seul livre même un peu étendu et sérieux qui ait