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LITTÉRATURE DU NORD.

main. Elle a honoré toutes les grandes époques. La philosophie de l’histoire, au contraire (que je ne veux pas nier, que j’admire même dans de certaines limites, et qui excite vos sympathies si vives), est une science nouvelle, scienza nuova. C’est Vico, que vous aimez tant à citer, qui la nomme ainsi. Elle naît à peine, elle n’a pas d’antécédens. Herder n’a recueilli que ses vagissemens ; et, si on doit la trouver quelque part, ce sera ailleurs, je m’imagine, que dans les neiges du Nord, et à propos de quelques chants populaires écrits dans une langue barbare.

M. du Méril est de l’école allemande. Ses autorités préférées viennent, bien entendu, d’au-delà du Rhin. Il cite fort peu Mallet et beaucoup M. Grimm. Cela est légitime jusqu’à un certain point, puisqu’on a beaucoup écrit sur le Nord en Allemagne et qu’on s’en est fort peu occupé en France. Les procès de tendance sont permis en littérature, s’ils ne le sont pas en politique. Or, la tendance de M. du Méril est très marquée. Il aime à donner les titres des livres étrangers qui complaisent à ses goûts d’érudit. C’est donc de l’Allemagne évidemment que procède la critique de l’auteur ; là est son point de ralliement, là est son centre, son drapeau. Je ne veux pas nier les beaux travaux d’érudition qui honorent le pays des Ranke et des Savigny ; c’est, dans les idées actuelles, la terre classique des recherches et de la science. On me permettra seulement de maintenir, en passant, que beaucoup de vues nouvelles, adoptées par nous avec enthousiasme, sont d’abord parties de France, pour nous revenir ensuite chargées de nuages. Derrière Niebuhr, j’aperçois Beaufort et Lévesque, que nous avons oubliés. C’était, sur les premiers temps de Rome, un scepticisme intelligent que l’Allemagne a exagéré, et que nous avons repris ensuite enveloppé de brouillards et grossi de l’inadmissible théorie des épopées populaires. Dans un autre ordre d’idées, il en est de même du livre de M. Strauss, si bien traduit par M. Littré. Qu’est-ce autre chose que du Volney, du Dupuis atténué, mitigé, annoté, recouvert de textes, et jeté au public en pâture sous une carapace bien pédante, bien hérissée, bien obscure ? Nous citons à tout propos les érudits allemands, qui nous citent fort peu. M. Strauss, par exemple, dont je parlais à l’instant, a trouvé moyen d’écrire deux volumes énormes de théologie, où le dernier docteur de la dernière université d’outre-Rhin a sa place en note, et où on ne trouve pas indiqué, je crois, un seul livre français, attendu probablement que le pays de Bossuet, de dom Calmet et de vingt autres interprètes célèbres de l’Écriture, n’offre pas assez de garanties sérieuses à messieurs les faiseurs d’exégèse. Il en est ainsi en histoire. Nous ne jurons que par l’Allemagne, et presque aucun des grands noms qui représentent ici les sciences historiques n’obtient chez nos voisins les honneurs de la citation. Il est vrai qu’ils s’appuient quelquefois de l’autorité de M. Capefigue. Est-ce une malice ? L’Allemagne n’est pas par excellence la contrée des fines plaisanteries, et je suppose que cela est seulement analogue au procédé des revues anglaises, qui parlent beaucoup plus de M. Soulié ou de M. Paul de Kock que de Mérimée ou d’Alfred de Musset.

Mais revenons. Disciple de l’école germanique, M. du Méril devait adopter