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LITTÉRATURE DU NORD.

qu’une compensation. Tout ce que je tiens d’ailleurs à maintenir, c’est que la poésie française doit dire des productions septentrionales comme la rose du Bengale aux autres fleurs, dans je ne sais quelle jolie pièce d’Hégésippe Moreau :

Pâles filles du Nord, vous n’êtes pas mes sœurs.

Il y a quelques années déjà que l’attention en France s’est dirigée sur toute cette littérature de l’Islande, de la Suède, du Danemark, de l’ancienne Allemagne. M. Ampère, dont l’intelligence ouverte s’attaque volontiers aux points peu connus, vint un des premiers et ouvrit la voie. On a de lui tout un remarquable volume sur ce sujet, qu’il a bien fait de recueillir avant de se livrer à son grand travail d’histoire littéraire. Le cours que M. Saint-Marc Girardin professa pendant plusieurs années à la Sorbonne sur l’histoire d’Allemagne, l’amena aussi tout naturellement vers ces origines littéraires, et il s’éprit un moment des cycles et des épopées ; mais son esprit si net et si vif ne devait pas se plaire long-temps aux mythes et aux symboles des poésies primitives : il s’en tira vite, et, dans un de ses derniers discours d’ouverture, il faisait même allusion à cette prompte retraite, avec une fine malice qui rit des désenchantemens. M. Saint-Marc Girardin s’était proposé de traduire les Niebelungen, et il en a inséré quelques fragmens dans ses spirituelles Notices.

Avec l’appui d’esprits aussi distingués, la littérature du Nord ne pouvait manquer d’attirer les regards : les voyages de M. Marmier, qui se dévoua bientôt en poète et avec amour à ces lointaines études, la firent de mieux en mieux connaître. Tout un mouvement scientifique s’est donc opéré sous cette influence, et, en moins de deux années, il a été écrit en France plus de livres sur ce sujet que nous n’en possédions jusqu’ici. De là, tout un groupe de travaux sérieux, utiles, qu’il importe de faire connaître et d’apprécier.

Les Prolégomènes à l’Histoire de la Poésie Scandinave[1], de M. Edélestand du Méril, doivent figurer au premier rang. C’est un ouvrage consciencieux, savant, plein de recherches, où se décèle même du talent, mais qui, par le vice complet de méthode, par les écarts d’imagination, appelle une critique sévère. Si l’auteur persiste dans cette fausse route, il se fourvoie ; si au contraire il coordonne ses idées, s’il dégage sa pensée du vague où elle s’égare, son style des phrases lourdes et prétentieuses où il s’enchevêtre volontiers ; s’il met un frein à l’intempérance de son érudition ; s’il sait enfin faire un choix, trouver la vraie mesure sans se perdre aux menus détails, sans entasser puérilement les notes inutiles, sans essayer de bâtir un monument, une Babel avec des grains de sable, alors M. du Méril pourra prendre place parmi les rares écrivains qui savent joindre, dans une unité imposante, ces deux élémens, trop souvent isolés et qui pourtant s’appellent et se complètent, la science et le style. — Il y aurait beaucoup à dire sur ce livre.

Et d’abord si l’on juge M. Edélestand du Méril sur ses prétentions, on a

  1. Un vol. in-8o, chez Brockhaus et Avenarius, rue de Richelieu, 60.