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LITTÉRATURE DU NORD.

conquêtes des différens procédés, des différentes manières de l’art étranger. L’admiration risquée passe d’autant plus rapidement qu’elle est plus vive. Ce qu’une critique sage doit donc seulement blâmer, c’est la facilité singulière avec laquelle on croit maintenant sur parole aux réputations qui viennent de loin. Ce qui naguère n’était qu’un engouement particulier, tantôt italien, tantôt espagnol, tantôt anglais, semble s’être transformé en une indulgence universelle. On a dit que l’hospitalité antique était morte : elle revit dans notre littérature. Nous avons comme des caravansérails intellectuels pour les pèlerins égarés de la poésie étrangère. Notre bon sens était naguère proverbial, comme notre politesse. Or, il faut le dire, ces prévenances exagérées font plutôt honneur à notre politesse qu’à notre bon sens. La civilisation naît du contact ; mais Joseph de Maistre remarque très bien que c’est aussi le propre des épidémies. Voilà le seul danger qu’il y ait à craindre.

Ces réflexions peuvent paraître par trop alarmantes, puisque je n’ai à parler que de la littérature septentrionale. Cette littérature sans doute n’aura jamais dans le public un succès profond et marqué ; si elle trouvait une école, si elle faisait éclat, cela ne durerait pas long-temps. De toute manière, ce serait une aurore boréale. Son influence pourtant, bien que lointaine et mitigée, semble avoir pénétré jusqu’en Italie. Il y a telle strophe de Manzoni ou de Pellico qui sent son Œhlenschlœger ou son Tegner. La blanche et vaporeuse poésie du Nord, avec ses lignes mal arrêtées, avec ses horizons brumeux, ses paysages gracieux, mais uniformes ; la poésie du Nord, dis-je, s’est penchée sur sa sœur du Midi, et au lieu des canzoni résonnans, des sautillantes chansons, elle lui a appris la ballade énervée, facile, languissante ; elle a évoqué, sous le soleil romain, dans cet air où retentissent encore les prestes dactyles et les lourds spondées de la langue latine, elle a évoqué les ombres pâles des scaldes et des minnesingers.

Eh bien ! je prétends que cette influence, qu’on l’attribue à l’Allemagne ou qu’on la fasse venir du Nord même, est loin d’être bonne. La poésie italienne n’était pas rêveuse de sa nature. Dans ses défauts, elle se permettait plutôt la recherche, les concetti, la manière ; mais sa langue était toujours demeurée nette, décidée dans le contour, point vague, point indécise, point flottante ; quelque chose, au contraire, de sonnant et de distinct, quelque chose d’harmonieux comme un timbre. Les brouillards conviennent peu à cette chaude et brûlante atmosphère.

Ils ne vont guère mieux à notre climat si tempéré et si sain. Dès les premières années de l’empire, Ossian avait été très à la mode ; mais, malgré le faible de Napoléon pour le pastiche de Macpherson, la traduction et les vers de M. Lormian eussent suffi à nous guérir. Le goût en passa donc assez vite. Toutefois, ce souffle venu de Fingal était précurseur. On pouvait déjà deviner les enthousiastes qui mettraient un jour les Eddas et les Niebelungen à côté d’Homère. On le sait, c’est un honneur dont les modernes éditeurs des trouvères ne sont pas non plus avares, et qu’ils accordent volontiers à ce qu’on nomme maintenant sans façon les poèmes du moyen-âge. Il fallait bien être