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amuse ; il place sa lanterne sous leur figure, les regarde, examine leur costume et leurs traits, les applaudit un peu, les prie de passer bien vite et s’occupe de ceux qui restent. Ce qui me semble encore excellent, c’est qu’il n’a de prédilection ni pour les girondins, ni pour les jacobins, ni pour personne.

Seulement, il aime l’humanité ; il souffre pour elle, il fait des vœux pour elle. Il la montre se débattant, dans sa faiblesse et sa grandeur, pour obtenir une destinée plus complète et meilleure. Sa sympathie appartient à ceux qui se dévouent, à ceux qui tombent, à ceux qui pensent, à ceux qui agissent noblement. Il relève pieusement tous les héros de cette grande mêlée, et il les baise au front comme des frères.

Il n’est donc ni royaliste, ni républicain, ni Français, ni Anglais. Mirabeau ne lui en impose pas, ni M. Necker non plus. Il n’a d’hymne que pour le dévouement ; il n’a de cœur et d’entrailles que pour l’humanité qui souffre, et j’aime cela. Il ne fait point le panégyrique de Marat, ni de M. de Flesselles, prévôt des marchands. Il raille à peu près également le brillant Rivarol et M. le marquis de Saint-Hurugues, citoyen de Saint-Huruge, devenu Saint-Huruge, puis Huruge tout court, attendu la démolition successive du marquis, de la particule et du saint. Passez, mes amis, leur dit-il, passez. Louis XVI lui-même n’obtient pas de lui beaucoup plus de respect, et, il faut le dire, c’est expressément et uniquement pour les qualités naturelles et les grandes actions que notre auteur (je ne dis pas notre historien) réserve son culte. C’est bien, et c’est rare. Ni Malesherbes, ni Turgot, ni les dévouemens sublimes des filles et des femmes sacrifiées, ne sont négligés par lui. Si la masse presque entière des célébrités, des supériorités, des dignités et des popularités, est traitée lestement par Carlyle ; si à droite, à gauche, Carlyle frappe sans pitié sur les royalistes qui ne savent pas mourir devant les marches du trône, sur les républicains qui, chargés d’aider à l’enfantement de la France, étouffent avant le berceau la liberté qu’ils veulent faire naître ; — ce n’est pas la faute de notre peintre, mais bien plutôt celle de ces messieurs dont il fait le portrait.

On ne comprendra guère ce mélange obstiné d’ironie et d’admiration ; d’ironie pour les hommes, d’admiration pour la scène qu’ils remplissent de leur bruit. J’avoue que je partage tout-à-fait ce double sentiment. Cet écrivain récent, mauvais écrivain quant au style, qui n’a pas de droits à se placer parmi les grands hérauts de l’histoire, a