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père, avocat comme lui, fonda des loges maçonniques à l’instigation du prétendant Charles-Édouard. Maximilien, son fils aîné, fut élevé avec grande économie. Il eut pour camarade de classe le vif Camille Desmoulins. Il a plaidé une fois à Arras en faveur du paratonnerre. Son intelligence rigide et triste, son esprit clair, prompt, mais étroit, plurent à quelques hommes en place, charmés de ne lui voir aucun génie, mais seulement les qualités négatives qui conviennent à l’homme d’affaires. Il n’a pas voulu juger à mort un coupable quand l’évêque du diocèse l’eut nommé juge, et il s’est retiré. C’est un homme austère, voyez-vous, un homme strict et scrupuleux, un homme peu fait pour les révolutions, dont la petite ame, transparente et pure comme de la petite bière, tourne facilement à l’aigre aussi. Elle pourra bien plus tard… nous verrons. »

Ce n’est pas là le bon style historique assurément. Dans l’original, l’enchevêtrement de la diction, l’excès du néologisme, l’audace bizarre des mots inventés, rendent cette manière d’écrire encore plus burlesque. Mais il est impossible d’assigner mieux et plus nettement à chaque personnage sa place pittoresque dans l’histoire. Carlyle, saisissant avec une dextérité infinie le caractère de tout homme historique, jouant avec lui comme le tigre ou le chat se jouent avec un animal d’ordre et d’espèce inférieurs, l’analysant sans pitié, le retournant à droite et à gauche, le traitant cependant avec une bonne indulgence qui est mêlée de mépris, de pénétration et de charité, passe en revue ainsi Calonne, Mirabeau, Marat, Necker, tout ce qui a brillé obscurément ou miraculeusement dans la révolution française. Ce procédé d’impartialité point railleuse, point dénigrante, point laudative, prenant l’homme pour ce qu’il est, ne le croyant jamais sublime complètement, ou complètement haïssable, ne voyant jamais en lui une chose d’une seule pièce, prouve une extrême sagacité ; c’est le procédé de Tacite, Labruyère, Shakspeare et Saint-Simon. Chez Carlyle, le sourire et la pitié, mêlés d’un parti pris philosophique, rendent cette disposition plus saillante. On retrouve en lui l’observation de Shakspeare, moins calme, plus métaphysique, malheureusement mêlée de quelque affectation, mais singulièrement puissante.

Toute l’histoire de notre révolution, toutes ses journées dramatiques, sont décrites ainsi par l’auteur, dans un style brillamment compliqué, étrangement bariolé, rempli de mascarades et d’hymnes, détestable modèle que l’on essaie déjà d’imiter en Angleterre. Ailleurs