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de Faublas, debout sur la pointe du pied ? Et Brissot, l’ami des noirs, qui s’amuse à s’appeler de Warville. C’est lui qui, avec le marquis Condorcet et le Genevois Clavière, va créer le Moniteur. Il faut un nouveau journal pour rendre compte d’un jour nouveau. N’y a-t-il pas là, bien loin des places d’honneur, un nommé Stanislas Maillard, huissier à cheval du Châtelet, homme plein de ressources ? Un capitaine Hullin de Genève, un capitaine Élie, du régiment de la reine ? tous deux en demi-solde, et qui en ont l’air. Voici Jourdan, aux favoris couleur de brique, et dont la barbe sera bientôt célèbre ! Il a vendu des mules, et sans trop de probité, dit-on ; il s’appellera dans quelque temps Jourdan-Coupe-Tête, et il aura autre chose à faire.

« Sûrement aussi, dans quelque coin peu honorable, rampe ou se traîne, en se plaignant, un petit homme sale, blême, flétri, couperosé, sentant la suie et les cataplasmes. C’est Jean-Paul Marat, de Neufchâtel. Ô Marat ! rénovateur de la science humaine, auteur de traités sur l’optique, le plus remarquable des vétérinaires, médecin naguère des écuries du comte d’Artois, dis-moi ce que croit voir, à travers tout ceci, ton ame malade et flétrie, enfermée dans un corps flétri, misérable, torpide et envenimé. Est-ce un faible rayon d’espoir ? Est-ce une aurore après les ténèbres, ou n’est-ce qu’une lumière sulfureuse et des spectres bleus ? Malheur, douleur, soupçons, envie et vengeance sans fin ! voilà ce que tu entrevois, je le pense.

« Du drapier Lecointre, qui a fermé boutique tout à l’heure, et qui est venu ici, nous ne parlerons guère, ni de Santerre le brasseur, le brasseur sonore du faubourg Saint-Antoine. Il y a deux autres personnages, et deux seulement que nous signalerons : l’homme puissant, musculeux, aux sourcils noirs, à la figure écrasée, annonçant une force non employée, et comme un Hercule qui attend sa colère ; c’est un avocat sans cause qui a faim. Il s’appelle Danton, remarquez-le bien. Il y en a un autre, son frère de profession, maigre, mince, le teint noir, aux longs cheveux bouclés et bruns, une physionomie de gamin, merveilleusement illuminée par le génie, comme si une lampe de naphte brûlait au dedans. C’est Camille Desmoulins, un garçon d’une pénétration, d’un esprit, d’une force comique infinie ; parmi ces millions d’hommes, il y a peu d’intelligences aussi nettes et aussi vives. Pour toi, mon pauvre Camille, que l’on dise ce que l’on voudra, il est difficile de ne pas avoir envie de t’aimer, étourdi, brillant, léger Camille ! Quant à l’autre homme musculeux qui attend sa colère, j’ai dit qu’il se nommait Danton, nom passable-