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son adversaire, est presque toujours poussé à bout par un mot ou par un geste, et il frappe avant que l’adversaire ait eu le temps de se mettre sur la défensive, sans aucune espèce de danger pour lui-même. Il y a là surprise violente, il n’y a pas chances égales ; il y a donc peu de courage réel à être assassin. Quoi qu’il en soit, en Italie, le peuple prend inévitablement le tueur sous sa protection. Un premier meurtre en fait un personnage intéressant ; un second meurtre en fait un brave, un troisième un héros. Les femmes, que l’énergie séduit toujours, exaltent l’assassin et sont prêtes à baiser ses mains rouges de sang. — Bacon a écrit : La vengeance est une sorte de justice sauvage. — La vengeance qui suit un premier meurtre amène presque inévitablement une série d’assassinats, car les parens du mort ont à cœur d’accomplir ce qu’ils regardent comme un acte de justice et de tuer celui qui a tué un des leurs ; le gouvernement les ferait attendre et peut-être oublierait. La justice sommaire du poignard leur plaît davantage, et l’opinion est encore pour eux.

Il y a cent ans, on comptait à Rome cinq à six meurtres par jour, et quelquefois le lendemain des grandes fêtes l’hôpital de la Consolazione a recueilli jusqu’à cent cinquante blessés, ce qui laisse à supposer une vingtaine de tués. La veille de ces fêtes, on déménageait les salles de l’hôpital pour faire de la place aux blessés du lendemain ; c’était une habitude prise. Dans les premiers temps de l’invasion française, les meurtres étaient devenus encore plus fréquens ; les Romains trouvaient un double plaisir à tuer un ennemi et un étranger. Cent vingt Français ayant disparu en un seul jour, le général Miollis prit des mesures de police telles, que pendant les dix-huit mois de cette première occupation, de février 1798 à juillet 1799, il ne se commit pas dix meurtres. Sous la domination française jusqu’en 1814, les meurtres étaient toujours fort rares ; mais, lors de la restauration du gouvernement pontifical, ils recommencèrent de plus belle. Il y a vingt-cinq ans, on comptait encore un meurtre par jour. Aujourd’hui, grace à la vigilance de la police, on tue peut-être moins ; mais les préjugés populaires sont toujours les mêmes. Cela tient sans doute à ce que la justice n’instruit guère qu’à l’occasion de meurtres de gens comme il faut, ou d’assassinats commis sur la grande route ; les coups de couteaux entre gens de la canaille ne comptent pas.

C’est dans la foule de ces meurtriers par colère ou par vengeance, par tempérament ou par prétendu devoir, que de tous temps les brigands se sont recrutés. Obligés de se cacher et de vivre comme ils pouvaient, ces gens-là se faisaient peu de scrupule de prendre le